Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №4/2007

Arts et culture

Jeanna AROUTIOUNOVA

Christian Dior – l’icône de la mode

Christian Dior, le célèbre couturier français, a réussi en dix ans, de 1947 à 1957, date de sa mort, à créer l’une des maisons dont le nom résonne aux quatre coins du monde.


Enfance

À Granville, en Normandie, non loin du Mont-Saint-Michel, la maison d’enfance de Christian Dior se dresse sur la falaise, face aux îles Anglo-Normandes. Ce lieu de mémoire est aujourd’hui transformé en musée de mode.

La villa Les Rhumbs à Granville a vu grandir Christian Dior, et sa vie durant celui-ci restera fidèle au souvenir de la maison familiale et de son jardin. Lorsque les parents de Christian Dior l’achètent vers 1905, sa mère Madeleine fit modifier le terrain pour l’aménager en parc a l’anglaise, planter de jeunes arbres et ouvrir une large baie sur la façade vers la mer. Le jeune Christian y exercera ses talents de dessinateur et d’architecte, concevant vers 1920 le plan d’eau et la pergola, toujours en place aujourd’hui.

Christian Dior affectionnait ces lieux où il retournait le temps des vacances après que ses parents se furent installés à Paris. Il y retrouvait son ami Serge Heftler-Louiche (futur fondateur des parfums Dior), avec qui il se promenait sur les sentiers de falaise. Il aimait l’ambiance des carnavals et des fêtes qui animaient l’endroit. Lorsqu’en 1932, peu après la mort de sa mère, Madeleine Dior, le père de Christian, industriel, fut ruiné par la crise, la propriété fut mise en vente. Achetée par la ville de Granville, son jardin sera ouvert au public dès 1938.

À l’issue de la Première Guerre mondiale la famille s’installe à Paris. Christian Dior découvre Paris en abordant la ville avec un programme simple : « courir aux quatre coins du nouveau Paris inventif, cosmopolite, intelligent, prodigue de nouveautés vraiment neuves ».

Bachelier en 1923, il souhaite entrer aux Beaux-Arts, mais ses parents s’y opposent. Alors il s’inscrit aux Sciences politiques. Il se passionne alors pour la musique, celle qui s’élabore sous l’influence de Satie et de Stravinsky, celle du groupe des Six (Milhaud, Honegger, Auric, Poulenc, Durey, Germaine Tailleferre) et de l’école d’Arcueil, réunie autour d’Henri Sauguet. Jean Cocteau et Max Jacob font figure de maîtres à penser pour le groupe d’amis avec lequel il se lie dès lors : Christian Bérard, Marcel Herrand, René Crevel, Pierre Gaxotte, Georges Geffroy... Ces jeunes gens cultivent l’amour de l’art et la vie de bohème, fréquentent librairies et spectacles, s’amusent de soirées déguisées et de charades. Une telle existence inquiète les parents Dior, d’autant plus qu’en 1927 leur fils échoue à ses examens de Sciences Po. Il ne persévère pas davantage dans la musique, pas plus que dans la peinture : « L’admiration et l’amitié suffisaient à mon bonheur », reconnaîtra-t-il plus tard. Le jeune Christian a cependant un sens intuitif de la création artistique, se montrant ainsi sensible aux ballets.

L’Exposition des arts décoratifs

En 1925, l’Exposition des arts décoratifs l’enthousiasme et peut-être sert-elle aussi de catalyseur. Christian Dior décide à cette époque de se faire une place dans le monde artistique, non comme créateur mais en tant que diffuseur : il sera marchand de tableaux. L’idée choque ses parents, horrifiés à l’idée de voir leur fils devenir un « boutiquier ». On transige : son père le financera, mais son nom n’apparaîtra pas. Il s’associe avec son ami Jacques Bonjean dans la galerie qu’ils ouvrent rue La Boétie, au fond d’une impasse. Ils y exposent des œuvres de Bérard, de Tchelichev, de Berman, tenants du mouvement que l’on nommera néo-humaniste ou néo-romantique, et celles d’artistes étrangers de sensibilités voisines, tels l’Allemand Helmut Kolle ou le Britannique sir Francis Rose. Les toiles marquent un retour à la figure humaine, en réaction au cubisme, au surréalisme et au dadaïsme. La galerie a ses hérauts : Cocteau, Max Jacob, Gertrude Stein et Edith Sitwell qui fait le lien avec Londres. Certes Breton juge tout ceci rétrograde mais l’influent critique Waldemar George salue régulièrement dans ses articles les efforts accomplis. La galerie présente aussi des artistes très différents : Dali, Zack, Giacometti, Mirô ou Chirico que Jacques Bonjean a sous contrat dès 1927. Alternant avec celles réservées aux jeunes, la galerie organise des expositions de peintres déjà confirmés comme La Fresnaye, Braque ou Utrillo. Avec plus d’originalité elle s’ouvre aux projets architecturaux et aux dessins d’Emilio Terry. L’avenir s’annonce donc sous d’excellents auspices. Hélas ! la santé de Bernard, le jeune frère de Christian Dior, nécessite son internement, Mme Dior tombe malade et meurt en 1931, quelques mois avant que son mari ne soit ruiné...

La crise s’installe en Europe et la jeune galerie ferme ses portes au moment même où Christian Dior doit prendre sa famille en charge. Il s’associe avec un autre ami marchand, Pierre Colle, apportant avec lui les œuvres qui lui reviennent après la liquidation de la galerie Jacques Bonjean. Mais les clients se font rares : « La situation paraissait sans issue non seulement à mes yeux, mais à ceux de toute une génération », note sobrement le jeune marchand qui cesse son activité. D’ailleurs Christian Dior contracte la tuberculose et ses amis se cotisent pour l’envoyer à Cambo au Pays basque, puis à Ibiza. « Cette retraite [...] me fit découvrir le désir profond et nouveau de créer quelque chose par moi-même. » De retour à Paris, il postule sans succès pour un emploi administratif chez le couturier Lucien Lelong ; ceci l’incite pourtant à trouver sa voie dans ce milieu. Il habite alors chez Jean Ozenne, à l’époque dessinateur de mode, l’observe et se lance sur ses traces ; il reçoit les encouragements de Georges Geffroy et de Marcel de Brunhoff, rédacteur en chef de Vogue, et parvient à vendre ses dessins à plusieurs grandes maisons de couture, commençant ainsi à se faire un nom dans le monde de la mode.

Subvenant enfin à ses besoins, il s’installe rue Royale et est présenté à Robert Piguet, couturier en vogue qui lui demande des dessins et lui confie la réalisation de quelques robes pour sa prochaine collection ; parallèlement, il devient chroniqueur au Figaro et à Vogue.

Début professionnel

En juin 1938, il entre à plein temps chez Robert Piguet et il y apprend son métier. Les créations que propose Christian Dior sont dans l’esprit romantique du temps. « Café anglais », une de ses robes (« pied de poule avec dépassement de lingerie, inspirée des petites filles modèles ») fait sensation. Grâce à Bérard il rencontre à ce moment Marie-Louise Bousquet et, par l’intermédiaire de celle-ci, Carmel Snow, rédactrice en chef du Harper’s Bazaar et « papesse » de la mode outre-Atlantique, une femme qui comptera beaucoup pour lui dans l’avenir.

L’année suivante, Christian Dior jouit déjà d’une notoriété certaine et Marcel Herrand qui monte L’École de la médisance de Sheridan au théâtre des Mathurins lui demande d’en concevoir les costumes. Plus tard, il créera les costumes pour Le Lit à colonnes et Louise de Vilmorin se montrera ravie du résultat. Mais la guerre survient qui le conduit finalement chez Lucien Lelong, auprès de Pierre Balmain.


Quand la guerre éclate Christian Dior est enrôlé et fait désormais partie de la deuxième réserve, à l’arrière du front ; en fait, il travaille comme ouvrier agricole dans une ferme du Berry, remplaçant les hommes partis au front et renoue avec les travaux de la terre, même s’il ne s’agit évidemment plus du jardin de sa mère à Granville... Après l’armistice, il se retrouve en zone libre et peut ainsi rejoindre sa famille dans le Midi ; pour procurer aux siens d’indispensables ressources, il cultive des légumes qu’il vend avec sa sœur sur les marchés. Mais à Paris Alice Chavanne, chargée de la page féminine du Figaro, lui commande des dessins ; il lui en livre à Cannes, où il renoue avec des amis parisiens qui s’y sont réfugiés, tels René Gruau, André Roussin, Victor Grandpierre ou Micheline Presle...

Piguet le demande à Paris ; il y retourne, mais le spectacle de la rue le désole : l’époque ne se prête guère aux frivolités ; seuls les chapeaux demeurent amusants, lançant « tout à la fois un défi au malheur du temps et au simple bon sens ». Sonne alors l’heure Lelong : l’élégant couturier recherche en effet un modéliste ; ce sera Christian Dior qui dans la célèbre maison se lie avec Pierre Balmain, également modéliste, et Raymonde Zenacker, directrice du studio de création. Le monde de la mode traverse comme l’ensemble du pays des moments difficiles : Vionnet et Mainbocher ont fermé leurs portes, Molyneux et Worth sont à Londres, Chanel en Suisse, Schiaparelli aux États-Unis. La politique prônée par Vichy ne favorise pas la création en ce domaine et les Allemands projettent de transférer la couture française à Berlin et à Vienne, entreprise insensée à laquelle s’oppose – non sans courage – Lucien Lelong, président de la Chambre syndicale de la couture parisienne depuis 1937 : il se rend en Allemagne dès 1940, pour expliquer que la couture française forme un tout impossible à expatrier. Pourtant, la mode doit survivre car elle emploie 12 000 ouvrières. De plus, les Françaises continuent à acheter : chaque robe devient sinon un acte de résistance à proprement parler du moins une minuscule victoire contre la dureté des temps et la pénurie de matières premières. C’est ainsi qu’en 1942 Lelong organise à Lyon, alors en zone libre, un « Group Fashion Show » qui remporte un grand succès.

Comme toujours, les difficultés entraînent des changements. Balmain quitte Lelong et ouvre sa propre maison, en octobre 1945, rue François-Ier ; Christian Dior hésite à s’associer avec lui puis y renonce. Néanmoins, il est à présent convaincu qu’il doit lui aussi voler de ses propres ailes. Un premier projet en ce sens, la reprise de la maison de couture Philippe et Gaston, échoue ; en réalité Dior désire créer sa propre maison. L’affaire l’a mis cependant en relation avec Henri Fayol (dont il habille l’épouse chez Lelong...), bras droit de Marcel Boussac. Par Fayol, Christian Dior rencontre le puissant industriel et lui explique qu’il souhaite monter une « petite maison » pour des femmes « vraiment élégantes. [...] Je n’y ferais que des modèles apparemment simples, mais d’une conception très élaborée. [...] Il faut revenir à la tradition de grand luxe de la couture française. [...] La maison devrait ressembler davantage à un laboratoire qu’à une usine modèle. » Séduit par l’homme, Marcel Boussac admet ses idées élitistes, diamétralement opposées à celles qui lui ont permis de bâtir son empire.

Les succès

À quarante-et-un ans, soutenu financièrement par Marcel Boussac, dont la clairvoyance devine un être d’exception, Christian Dior ouvre sa propre maison, 30, avenue Montaigne, le 16 décembre 1946, destinant ses créations à « l’intention d’une clientèle de femmes vraiment élégantes ». L’« événement » surviendra le 12 février 1947, avec la collection printemps-été. Quand la pénurie des textiles impose jupes courtes et allure quelque peu martiale Christian Dior, lui, avec un stock de shantung ressuscite la féminité : une jupe immensément large, osant tomber à mi-mollet, une taille étranglée, un buste et des hanches soulignés, des épaules arrondies. La ligne est appelée « Corolle » ; une journaliste américaine la rebaptise « New-Look ». Carmel Snow, rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, qui en voyant les nouveaux modèles de Dior s’exclama : « Dear Christian, your dresses have such a new look ! » (Cher Christian, vos robes ont un tel nouveau genre !). Le « New-Look » marquera le retour d’une mode féminine éclatante, avec des carrures étroites, des seins exagérés, des corsages sanglés, et des jupes bouffantes. Cette nouvelle silhouette conquiert bientôt le monde entier. Christian Dior est célèbre pour avoir osé des robes qui nécessitent 40 mètres de tissu. Cette mode-là clame que la guerre est finie, que la vie reprend ses droits. L’affaire connaît un retentissement mondial : vivement décriée par les uns en ce temps de restrictions, son audace est passionnément saluée par les autres. Diffusé par la presse, le « New-Look » donne à celles qui ne peuvent se l’offrir le désir d’élargir, de rallonger leurs jupes avec des bandes de tissu de couleurs différentes.

Le « New-Look » est dans la rue, et le monde entier apprend le nom de Christian Dior. Tout de suite, celui-ci pense aux accessoires : le « New-Look » suppose le demi-jupon, le gant mi-long, la ceinture incurvée. Moderne et élégante, la femme Dior doit aussi se parer des plus beaux chapeaux, souliers, parfums et bijoux qui portent désormais la griffe de la maison Dior. Et Dior invente toujours. Il présente vingt-deux collections thématiques, toutes réalisées dans le même souci d’élégance et de bon goût, avec la même passion de créer. Chacune de ces vingt-deux collections cherchera ainsi à « concilier le facile à porter qu’exige la vie actuelle, à la nouveauté de la coupe, qui doit être le souci constant ». « Les robes doivent avoir une âme », dit Christian Dior, qui est l’architecte proportionnant sur le corps d’une femme un ensemble de volumes qui en exalte les formes. Pour assurer cette structure, chaque modèle est entièrement doublé. En bon constructeur, Christian Dior a le désir de simplifier : « Une robe bien coupée est une robe peu coupée ».
Les œuvres qu’il crée, il les aime comme on aime une personne et les fait aimer à la folie par quelques grandes dames du siècle : la duchesse de Windsor, Marlène Dietrich, les princesses Margaret d’Angleterre ou Grâce de Monaco, et bien d’autres. Mais sa mode veut aussi être – il l’avoue en 1954 – « de toutes les femmes, de tous les jours, de toutes les heures ».

Le triomphe

En 1947, il part aux États-Unis, il y sera porté en triomphe ou hué pour son « New-Look », mais partout il est un homme célèbre, ce qui lui permet de créer l’année suivante à New York une maison de prêt-à-porter de luxe. Avec son premier collaborateur, Normand comme lui, Jacques Rouet, il met au point le système des licences : des fabrications vendues sous l’appellation « Christian Dior ». Dès 1949, il a l’idée d’une licence pour les bas, avec la création d’un pied conçu pour que le bas ne vrille pas. Les coloris offrent une gamme soigneusement étudiée, et le « bas sans couture » est consacré pour la saison printemps-été 1955. Autre « dessous » suggéré et indispensable pour respecter la ligne de la saison, la gaine : chaque collection « appelle un nouveau modèle de buste, qui nécessite des gaines d’une forme différente ». Il faut désormais porter le soutien-gorge « Dior », ou ce nouvel ensemble pour le soir, « gorge/porte-jarretelles », exécuté en fil d’or, pour la saison automne-hiver 1957. Christian Dior a été un des premiers à comprendre l’importance de l’accessoire. Il n’impose rien mais propose tout : les souliers, les parapluies, les sacs, les gants, allongés jusqu’aux « gants-manches » pour les robes sans manches printemps-été 1955, les boutons... Les chapeaux ne sont pas oubliés : « Ce qui compte dans un chapeau, c’est le profil ». Quand l’accessoire prend trop d’importance, pour une maison qui va bientôt s’étendre dans le monde entier, Christian Dior ouvre un nouveau département : après celui de la lingerie, apparaît celui des fourrures. Roger Vivier est chargé de la conception des chaussures ; le comte Etienne de Beaumont et Roger Jean-Pierre s’occupent des bijoux. Dior confie à Guillaume puis à Alexandre le soin des coiffures. Et, jusqu’aux parfums. C’est à un ami d’enfance Serge Heftler-Louiche qu’il revient de trouver un parfum, cette « porte ouverte sur un univers retrouvé ». Le premier sera Miss Dior, en 1947, Diorama lui fait suite trois ans plus tard et Diorissimo, esprit du muguet, sa fleur fétiche, en 1956. Sans oublier l’invention d’une ligne de rouges à lèvres, en 1955.

Avec Christian Dior, les femmes sont habillées de pied en cap et embellies, en toute circonstance. Dès 1948, le maître a eu l’idée d’une « petite boutique », décorée par Christian Bérard, offrant déjà une mine de cadeaux possibles, avant que n’ouvre en 1955 « la plus grande boutique » de luxe de Paris. Il y appelle Jean-Pierre Frère qui de 1955 à 1994 s’y illustrera dans l’art de la table, les cadeaux, les objets pour la maison. Dans une époque en mutation, Christian Dior a sans cesse cherché à se renouveler, pour nourrir, du fond du cœur, cette passion de créer : « La couture, disait-il, c’est un des derniers refuges de l’humain. »

Le 24 octobre 1957, Christian Dior meurt à cinquante-deux ans d’une crise cardiaque. Mais le mythe, lui, survit : d’Yves Mathieu Saint Laurent, entré comme modéliste à l’âge de vingt ans, en 1955, à John Galliano, arrivé en 1996, ce nom de Christian Dior continue aujourd’hui plus que jamais, de scintiller dans le monde.

La maison Dior a été rachetée en 1987 et dépend aujourd’hui du numéro un mondial du luxe, le groupe Louis-Vuitton-Moët-Hennessy (LVMH). La direction artistique de la maison est assurée par l’Italien Gianfranco Ferré qui reste fidèle au « sens du fini, du parfait » dont parlait l’inventeur du « New-Look ».

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