Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №14/2007

Arts et culture

Alla CHEÏNINA

Merci, Salvatore Adamo !

En 1968, je chantais avec Sheila : « Donne-moi ta main et prends la mienne/ La cloche a sonné ça signifie/ La rue est à nous que la joie vienne/ Mais oui Mais oui l’école est finie ». Eh oui, l’école finie, je préparais mes examens d’entrée à l’Institut des langues étrangères Maurice-Thorez. La langue française, la littérature et l’histoire de France, c’était ma passion, mon obsession, ma vocation, mon destin…

Alla Cheïnina, 1960Aujourd’hui, je me demande ce que je serais devenue si je n’avais pas vu un jour Gérard Philippe interprétant le rôle de Julien Sorel, si je n’avais pas entendu des chansons d’Édith Piaf, Michel Polnareff, Charles Aznavour, Claude François, Nino Ferrer, mais surtout Salvatore Adamo. Ce qui est certain, c’est que je n’aurais jamais pris la décision d’aller jusqu’au bout pour apprendre la langue française, pour laquelle je n’étais pas douée (c’est ce que, en tout cas, a dit à ma mère ma première enseignante de français en lui proposant gentiment de « ne pas faire souffrir la petite fille si maladive » et d’aller chercher une autre école). Mais je tenais à la langue française, engouement qu’on considérait avec agacement ne voyant pas de bons résultats. Je m’y accrochais toujours sans que personne ne comprenne le mobile : j’étais amoureuse… Oui, j’aimais à la folie deux hommes à la fois : Gérard Philipe et Salvatore Adamo. Tous les deux symbolisaient pour une adolescente que j’étais « la douce France » et les Français.

Gérard Philippe, cet ange diabolique ! Je ne l’ai vu qu’une seule fois dans Le Rouge et le Noir. C’était un coup de foudre qui m’a marquée à tout jamais. Salvatore Adamo, c’était différent… Il était toujours à mes côtés. J’écoutais Tombe la neige, Viens, viens ma brune, Sans toi, ma mie sur un petit pick-up bon marché que mes parents m’ont offert. Je décodais les paroles afin de comprendre le sens et accompagner à voix basse mon idole en imitant un duo virtuel. Sa voix cassée me laissait m’évader et partir dans mes rêves pour ce mystérieux pays aussi illusoire que le royaume des contes de fées. « La France », quel mot magique ! Je n’osais même pas imaginer visiter un jour ce pays ou rencontrer quelqu’un qui l’habitait. Un Français vivant, « en chair et en os » me paraissait plus irréel qu’un extraterrestre.

Et pourtant, il y avait ce pays, la France, je l’ai vue sur la carte géographique… Il y avait aussi des Français que j’imaginais aussi gentils et souriants que ce jeune Adamo sur la pochette d’un souple 78 tours, et surtout heureux, heureux de savoir parler la même langue que mes deux idoles. Alors pour être heureuse, me disais-je, il ne suffisait que de l’apprendre, cette belle langue française ! (Comment pouvais-je savoir que le français n’était pas la langue maternelle d’Adamo ?)… Et je n’ai pas quitté mon école spécialisée en français et j’ai eu d’autres enseignantes qui, amoureuses elles-mêmes de la France, sa littérature et son histoire, m’ont encouragée à apprendre cette langue toute ma vie…

Le temps passe vite et 40 ans plus tard, en 2004, j’ai eu la chance d’assister au récital d’Adamo au Palais des Congrès à Moscou. C’est mon fils, trentenaire, qui m’y a invitée, moi qui aimais tant cette idole vieillissante des sixties. Mon Dieu, ce que j’avais peur d’y aller !!!… Je craignais d’être déçue, de détruire l’image que je m’étais créée il y a si longtemps, j’avais peur que mon fils n’aime pas sa voix, son répertoire, son style, son look. J’avais peur tout court.

Mais à peine ai-je entendu sa voix faible et chaleureuse, le miracle s’est produit : je l’ai reconnu tout de suite ; j’ai été émue aux larmes (une vraie midinette de 50 balais). Outre les souvenirs d’enfance liés à ses chansons qui me sont revenus, j’ai vraiment trouvé dans les titres plus récents la fraîcheur, le plaisir, l’émotion et le même charme ! Les textes étant parfois graves, parfois pleins d’humour et les mélodies toutes plus belles les unes que les autres, nous faisaient tous vibrer à l’unisson.

On avait beau scruter et observer ; les ans semblent glisser sur son visage d’éternel adolescent, mi-rêveur, mi-espiègle, toujours timide. Même sourire, même coiffure, même voix, en douceur... Même personne d’une gentillesse exquise.

Bref, je l’ai retrouvé comme on retrouve un ami d’enfance. Et voilà qu’il chante sa dernière chanson et quitte la scène. Applaudissements forts. Le public scande : Tombe la neige. Il rentre, chante une autre chanson et s’en va. Les fans obstinés réclament : Tombe la neige. Adamo résiste et chante deux, trois chansons, mais pas celle qu’on attend... La foule commence à hurler : Tombe la neige. Et enfin… On entend le premier son d’un air si familier qu’on dirait qu’il n’appartient plus à Salvatore tout seul. On se met debout et on chante en chœur : « Tombe la neige, tu ne viendras pas ce soir/ Tombe la neige et mon cœur s’habille de noir… » Vous savez, ça fait bizarre d’entendre l’immense salle du Palais des Congrès, toutes générations confondues, chanter en français. Visages inspirés, yeux brillants, cris de bonheur, ovations et rappels interminables.

Et ça impressionne… c’est beau, « c’est quand même merveilleux », comme chante Adamo.

J’ai regardé mon fils. Il souriait et chantait, lui aussi. Sa rencontre avec ce véritable homme de cœur et de talent a eu lieu. Comment, mais comment décrire ce moment ? Et rien que d’écrire ces mots, encore aujourd’hui, j’ai les larmes aux yeux.

C’est à ce moment-là, que j’ai pensé que tout n’était peut-être pas perdu pour la langue française en Russie.

Je dédie ce numéro à tous les chanteurs français des années 1960 qui m’ont aidée à vivre mieux mon adolescence.

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