Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2008

Arts et culture

« Le jour s’en va toujours trop tôt »
Sur les pas de Maurice Carême

(Suite. Voir N°10/2008)

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Dès que nous nous retrouvions seuls, Maurice me parlait de poésie.

Ce qu’il y avait d’étonnant, c’était l’enthousiasme de Maurice devant la diversité des formes de poésie. Il en parlait sans fin, ne se lassant pas de s’émerveiller. Il essayait de cerner la magie et le pouvoir que la poésie donnait aux mots les plus usuels. Mais toujours, il avouait qu’elle échappait aux tentatives d’explication. « C’est, disait-il, plus une manière de dire qui importe que ce qui est dit. » Quand il se penchait sur les chefs-d’œuvre de l’art en général et de la poésie en particulier, il demeurait frappé par la puissance qui s’en dégageait et leur donnait une intensité telle qu’on pressentait aussitôt la part d’éternité qui les rendait immortelles.

– Pourvu que j’atteigne un jour cette densité dans ma propre poésie, s’inquiétait-il. Oh ! je ne peux croire ni aux théories de l’art ni aux écoles. Les esthètes les ont toujours créées artificiellement. La véritable intelligence est sensible, non intellectuelle. Les œuvres des grands artistes échappent aux tendances et aux modes de leur temps.

Nous avions de longs échanges de vue sur la poésie. Maurice reve­nait à ce qui lui paraissait essentiel : la simplicité.

– Il est extrêmement difficile de rester simple, reconnaissait-il, d’em­ployer les mots usuels, en créant la cadence verbale, la musique de l’âme sans laquelle la poésie reste lettre morte. Les chefs-d’œuvre sont si rares. Ils constituent des miracles d’équilibre entre les données incohérentes et explosives de l’émotion intérieure et les forces intelligentes qui les réfrènent, les canalisent et leur imposent une forme simple, directe et chantante. C’est à cette forme essentiellement communicable que l’on reconnaît les poètes authentiques. C’est toujours au plus secret, au plus profond de lui-même que le poète est le plus original et c’est par là qu’il rejoint non seulement l’homme de son temps, mais celui de tous les temps. Il suffit de relire les chefs-d’œuvre pour retrouver la simplicité dans la profondeur et l’émotion dans le dépouille­ment.

– Bien sûr, la poésie est un jeu, remarquait Maurice, mais un jeu très sérieux ! Le merveilleux en art est de pouvoir trans­muer en beauté ses peines, ses angoisses, ses fantasmes, ses joies. Les autres finissent par se reconnaître dans ces œuvres comme si nos miroirs d’âme devenaient les leurs. Aucun artiste ne pourrait expliquer la cause de cette transmutation. Peut-être est-ce mieux ainsi ! Pour moi, l’intelligence est l’ennemie de la sensibilité.

***

« N’as-tu pas froid ? » me disait-elle.
Le soir tombait rapidement.
Déjà la première hirondelle
Avait disparu au tournant.

« Et toi, n’as-tu pas froid ? » disais-je.
La lune, sur l’eau du lavoir,
Brillait plus blanche que la neige
Devant un bois de sapins noirs.

Et nous restions là, frémissants,
Pareils aux premières étoiles
Qui, du fond du brouillard naissant,
Montaient au-dessus des avoines.

« N’as-tu pas froid ? » répétait-elle.
Je répétais : « N’as-tu pas froid ? »
Et nous restions dans la venelle
Sans oser nous tendre les bras.

– Les gens s’imaginent qu’un poète est un rêveur. Un jour, disent-ils, il a un rêve quelconque, un songe, un sentiment un peu plus fort que les autres. Il prend sa plume et il écrit un poème. Eh oui ! il écrit un poème, mais il le corrige pendant des années. Chaque livre chez moi, est le résultat d’un travail de plusieurs années, oui, plusieurs années de corrections. Un poète vrai, original cherche à amener ses poèmes à la plus grande simplicité possible. Je trouve qu’un poète – puisqu’il a reçu des dieux ce pouvoir d’exprimer ses sentiments de façon très simple et très émouvante – a le devoir de faire des poèmes aussi simples et aussi compréhensibles que possible.

***

Toujours le soir venait trop vite ;
Le temps de prendre le soleil
En main, comme une marguerite,
On voyait rentrer les abeilles.

Ah ! que d’adieux à bouche folle !
Le temps tenait haut sa balance.
Je me souviens de nos silences
Plus clairs que de claires paroles

Et de l’étonnante pâleur
De la lune qui avait pris
Le visage d’un dieu surpris
De vivre à hauteur de nos cœurs.

– Ce qui compte, disait-il aussi, ce n’est pas d’être de son temps – on l’est toujours – mais d’être de tous les temps et d’échapper aux courants, aux modes. Un vrai poète est le contemporain des poètes qui ont écrit avant lui et de ceux qui écriront après lui. L’œuvre d’art n’est en somme, pour les autres, qu’une porte grâce à laquelle ils peuvent se découvrir eux-mêmes. L’amoureux qui écrit à celle qu’il aime n’intéresse que cette dernière. Pour les autres, sa lettre risque fort de paraître ridicule. L’écrivain, au contraire, écrit au nom des amoureux qui le lisent. Les gens pensent qu’il faut des choses extraordinaires pour inspirer un poète. Mais non, il suffit d’une fleur, d’un lézard, d’un cri d’oiseau, d’un bruit, d’une fumée, d’une odeur pour qu’un vers jaillisse et fasse monter une foule de souvenirs et de fantasmagories que l’artiste ne soupçonnait même pas. Un poète ne philosophe pas, il symbolise. Il comprend et sent les choses, il ne les explique pas. Il pressent ce que souvent personne ne voit ni n’entend. Il est un allumeur d’âme. L’acte poétique dépasse la connais­sance.

***

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Elle mangeait tout près de moi au seuil du bois.
Le grand soleil couchant éclairait sa tartine.
Elle riait aux passereaux, à la colline ;
Un peu de miel coulait sur le bord de ses doigts.

« Regarde, disait-elle, en montrant ses dents
blanches,
Mon pain, ce soir, a la couleur des tourterelles.
Quand je suis près de toi, n’est-ce toujours dimanche ?
On dirait que je mords dans un morceau de ciel. »

Et je la regardais, ne sachant que répondre.
C’était l’heure où les ombres tendrement
s’allongent,
Où les carreaux lointains flambent sur les avoines.
Elle parlait, parlait... et, lentement, un monde
De gerbes enlacées, de chemins éblouis
Montaient à l’infini du fond de la campagne.

Maurice n’en finissait pas de faire de notre amour un monde poétique où je redécouvrais notre vie quotidienne. L’air que nous respirions avait notre odeur. Le soleil et la pluie se faisaient complices de notre joie. Les chemins où nous marchions n’étaient plus que notre bonne humeur. J’aurais voulu crier mon bonheur au monde entier. Nous étions devenus pareils à un miroir où nous nous regardions, comblés. Les détails, les faits cités nous faisaient rêver à des journées où nous avions vécu à de telles hauteurs que nous doutions d’être redescendus sur terre.

***

Ah ! ris encore, nous sommes deux.
Nous sommes deux à voir le soir
Descendre sur les moutons bleus,
Descendre sur le hameau noir ;

Deux à savoir que le soleil
Ne se couche jamais en nous ;
Deux à nous savoir si pareils
L’un à l’autre dans le soir doux

Que je ne sais si c’est ta voix,
Que tu ne sais si c’est la mienne
Qui dit « Je t’aime » avec la voix
Des feuilles à l’orée du bois.

Nous n’aurions eu besoin que d’être ensemble. Souvent nous parlions de ce rêve sans fin recommencé. Même lorsque nous étions loin l’un de l’autre, Maurice y pensait et m’écrivait : « Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours des barrières entre les cœurs faits pour s’entendre, mais je me demande parfois si ce n’est pas pour qu’ils se comprennent mieux. Et j’avoue aussi que c’est la seule chose qui me console. »

***

Tu t’éloignais sur le sentier
À travers les grands champs de blé.
Tu devenais toute petite
Au loin comme une marguerite.

Ton bras levé dans le soleil
Luisait comme luit une abeille.

Un signe encore, près du lavoir,
Et je ne pouvais plus te voir.

Le ciel alors devenait sombre,
Si sombre que, sans les colombes

Qui piquetaient d’étoiles blanches
Le hameau caché dans les branches,

J’aurais vraiment cru que le soir
Tombait déjà sur le lavoir.

– On ne m’ôtera pas de la tête que nous sommes sur cette terre pour être heureux, répétait Maurice.

Est-ce à cause de cette philosophie de la vie qu’il avait gardé autant d’enthousiasme ?

– Où nous nous sauverons tous ou, tous, nous nous perdrons, continuait-il. Nous sommes faits pour nous aimer, pour nous dépasser, pour prendre les chemins qui montent.

***

img3« Est-ce que tu m’aimes bien ? »
Disait-elle sous les pins.

Qu’aurais-je pu lui répondre ?
C’était plus que tout au monde.

Elle reprenait alors
« Dis-moi si tu m’aimes fort ? »

Et je lui prenais les mains
Aussi muet que les pins.

« Que tu m’aimes plus que tout ? »
Et je lui baisais le cou,

Si noyé dans le bonheur
Qui me serrait à la gorge

Que les mille rouges-gorges
Qui me chantaient dans le cœur

Se taisaient, soudain surpris,
Que je n’aie encore rien dit.

(à suivre)

(La publication est préparée par Maria RIVES.)

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