Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №12/2008

Les Routes de l’Histoire

Les Français et Mai 68

Souvenirs et témoignages

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« Que s’est-il passé ? Il s’est passé ˝ des choses ˝... Délirantes, sévères, imprévues, fatales, surprenantes, banales... J’y vois trois aspects qu’il ne faudra pas oublier : la fragilité des gouvernements, la docilité des sociétés de consommation, l’orientation vers le pouvoir personnel.
Les conséquences ? La France vient de se faire une nouvelle idée du général de Gaulle. Les jeunes se font une idée très précise de ceux qui les gouvernent. »

Jean VALDEYRON,
journaliste

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« Si on me demande : “Alors, 68 ?”, je répondrai : “Finalement, les 40 ans de Mai 68 ne me pose qu’un problème : ça me fait 40 ans de plus !” Cela ne veut pas dire que ce passé est mort, mais qu’il est enfoui sous quarante tonnes de pavés qui, depuis, ont labouré et changé le monde. Cette évolution démarre avec 68 pour se prolonger évidemment à travers les décennies suivantes. »

Daniel COHN-BENDIT,
leader de Mai 68

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« Mai 68 a été la grève la plus importante de l’histoire du mouvement ouvrier français et l’unique insurrection “générale” qu’aient connue les pays occidentaux depuis la Seconde Guerre mondiale».

Kristin ROSS,
journaliste américaine

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« Mai 68, pour les gens de ma génération, c’est d’abord un souvenir de bonheur. Que la révolution était belle, cette année-là ! Qu’elle était gaie, et légère, et libre ! Tout le contraire des années de plomb qui ont suivi... C’est qu’il ne s’agissait pas d’une révolution. Une révolte ? Certes. Mais aussi une fête, une libération, un printemps ! »

André COMTE-SPONVILLE,
philosophe français

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Des bribes de mémoire

par Pierre WEIBEL,

participant aux événements

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En ce temps-là, nous avions vingt ans, c’était pour nous le printemps, un printemps que nous croyions voir durer éternellement. En ce début Mai, le souffle tiède du printemps était porteur de souvenirs de l’histoire de France, de Révolution-Résistance-Libération, un mélange explosif de jeunesse, d’espoirs… et de gaz lacrymogène.

Nous, les garçons, étions des héros qui, ayant quitté les cours, au fond de salles obscures et enfumées, faisions tourner à la main les ronéos, ces petites machines qui nous permettaient de reproduire le texte des tracts que nous irions au petit matin distribuer dans les usines et sur les chantiers. Car nous rêvions de prolétaires et de classe ouvrière… Et les filles étaient belles dans les amphithéâtres de Nanterre ou dans la cour de la Sorbonne, belles surtout, lorsque portées sur nos épaules, elles avaient un drapeau rouge à la main.

La France se préparait à vivre
une page mémorable de son Histoire

par Françoise CAMBOLIVE,

professeur

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En ce début de Mai 68, j’étais étudiante en lettres à Toulouse alors que mon mari, lui, faisait ses études scientifiques à Rouen.

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Devant une entrée des usines Renault en grève, à Boulogne-Billancourt.

Le printemps venait de s’installer. L’atmosphère était paisible et studieuse car les dates des examens étaient proches et les révisions battaient leur plein, lorsqu’un matin, alors que nous étions dans un amphithéâtre et attendions notre professeur, un groupe d’étudiants a fait irruption, annonçant que la Sorbonne, à Paris, était occupée par des manifestants étudiants et que toutes les Facultés se mettaient en grève. Et ce fut le début de manifestations monstres dans toutes les villes universitaires. Les étudiants que nous étions et les forces de l’ordre s’affrontaient quotidiennement, à grands renforts de matraquages, de bombes lacrymogènes et d’arrestations en tous genres. Plus les policiers frappaient, plus les étudiants scandaient des sloggans hostiles et les pavés arrachés aux rues servaient de projectiles. Il fallait courir très vite pour échapper à la répression. Je me souviens d’une scène, parmi tant d’autres, où, près de la place du Capitole à Toulouse, place où se concentrait la population estudiantine, dans sa fuite, un étudiant qui se trouvait devant moi, a perdu ses lunettes. Un policier les a alors écrasées avec une fureur sans égale... Des barricades se dressaient partout. Le mouvement prenait une ampleur considérable...

Peu à peu, les ouvriers se joignirent aux étudiants et la grève générale fut décrétée.

La France se préparait à vivre une page mémorable de son Histoire.

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J’ai rien compris ....

par Jean-Pierre Lenôtre

étudiant à l’université de Nanterre en 1968 et déjà journaliste

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À lire la presse et les nombreux livres qui paraissent quotidiennement aujourd’hui et sont consacrés aux « événements de Mai 68 », comme on disait alors avec un délicieux euphémisme, chacun des témoins de ces journées de convulsions libertaires, qui publient leurs souvenirs tous les dix ans depuis lors, semble avoir tout compris depuis les premiers jours des troubles.

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Policier répliquant aux jets de pierres des étudiants devant la faculté des sciences de Jussieu, à Paris.

Pour ma part, j’ose à peine confesser quarante ans plus tard, que je n’ai rien compris et que je n’y comprends toujours rien. Rien compris au sens de l’Histoire qui se déroulait devant moi, rien non plus lorsque seul journaliste et photographe présent, j’accompagnai un groupe, on dirait aujourd’hui « d’activistes », on disait alors « d’enragés », envahir le 22 mars la tour de l’administration de l’Université de Nanterre.

Rien à l’occupation de la Sorbonne à laquelle pourtant j’assistai. Rien à celle du Théâtre de l’Odéon où cependant j’étais présent. Rien aux affrontements du Quartier latin, rien non plus à ceux de Flins, où les usines Renault devaient sceller l’union fertile de la jeunesse étudiante et des « travailleurs exploités », toujours rien au discours de Sartre juché sur un barril de je ne sais quoi, non loin de l’entrée des usines de Billancourt. Soit dit en passant, le grand Jean-Paul ne semblait pas avoir compris mieux que moi si j’en juge par les visages des prolétaires qui l’écoutaient goguenards.

Rien, je vous dis. Rien. Et je n’étais pas le seul. Je me rappellerai toujours, à quelques encablures de l’Assemblée Nationale, qui débattait d’une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur. Grappin, le doyen de l’université de Nanterre, que je connaissais un peu pour l’avoir interviewé peu de temps auparavant, me disait : « Et vous, mon vieux, vous y comprenez quelque chose ? » Non, finalement, je n’ai rien compris. Alors que, semble-t-il, pour tous les autres, ce fut lumineux depuis les premiers jours. Je m’en console en me souvenant qu’à Waterloo, Fabrice n’avait rien compris non plus. Rien du tout, ou si peu.

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