Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2008

Les Routes de l’Histoire

Tout est fini !

« Ma chère bien aimée pour la vie, Tout est fini, la paix est signée – on ne tue plus – le clairon sonne le cesse – le feu. Je suis à Omont, dans les Ardennes. Je pars à l'instant pour la frontière. Je suis maintenant hors de danger. Meilleure Douce caresse à vous tous », écrit Achille Marius Maillet à sa femme, le 11 novembre 1918. La guerre est terminée ! Du moins, on l'espère.

Cauchemars et terreurs

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Dans son autobiographie, le philosophe Louis Althusser, né en 1918, se souvient des crises nocturnes de son père, bien après la fin du conflit : « La nuit, très souvent, il émettait de terribles hurlements de loup en chasse d’une violence insoutenable, qui nous jetaient au bas du lit. Ma mère ne parvenait pas à le réveiller de ses cauchemars. Pour nous, la nuit devenait terreur et je vivais sans cesse dans l’appréhension de ses cris que jamais je n’ai pu oublier.1 »

Quant aux récits des anciens combattants eux-mêmes, ils sont rares. « Je suis allé dans un magasin de nouveautés faire quelques courses avec ma femme. La foule, les lumières, les couleurs des marchandises – tout était un délice pour les yeux, un contraste après la misère des tranchées, rapporte un ancien combattant français en 1919. Tout à coup, j’ai senti mes forces m’abandonner. J’ai cessé de parler ; j’ai éprouvé une sensation désagréable dans le dos. Mon regard est devenu fixe. Dans le tramway ou le métro, je sens que les gens me regardent, et cela me donne un sentiment terrible. Je sens que je leur fais pitié. Ils me regardent et ne disent rien. Que pensent-ils de moi ? »

Non, pour les anciens combattants, pour les blessés, pour les mutilés, pour les veuves, les orphelins, la Première Guerre mondiale ne s’est pas finie le 11 novembre 1918. Revient-on vraiment de la guerre ?

Le culte du souvenir

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Avant même que les poilus ne retrouvent leur foyer et que les familles ne récupèrent les corps des victimes (30 % seulement seront rendus), le culte du souvenir s'organise. De Londres à Sydney, on commémore à tout va. Le « soldat inconnu », les monuments aux morts, les célébrations du 11 novembre fondent le culte des martyrs.

Bien avant la fin de la guerre, déjà, les survivants et les familles commencent à visiter les lieux des combats. Le premier guide Michelin des champs de bataille est publié en 1917. Retour morbide sur le passé ?

En 1991, on retrouvait dans un charnier le corps de l'écrivain Alain Fournier, mort en 1914. Souvent très beaux, les lieux de mémoire continuent à déranger.

11 novembre 2007: Nicolas Sarkozy rompt le protocole

Traditionnellement silencieuse, la cérémonie de célébration de l'Armistice enchaînait toujours dans un strict ordonnancement : dépôt de gerbe par le président de la République, sonnerie aux morts et La Marseillaise, puis ravivage de la flamme du souvenir. Le président saluait ensuite les anciens combattants.

img3La cérémonie de commémoration s’est animée le 11 novembre 2007, après une prise de parole de Nicolas Sarkozy. Le président de la République s’est exprimé devant les jeunes, réunis sous l’Arc de triomphe à Paris.

D'autres innovations ont eu lieu : la projection d'images d'archives de la Grande Guerre sur écrans géants, le déploiement de drapeaux européens qui flanquaient, de part et d'autre de l’Arc de Triomphe, le grand pavois tricolore qui flottait en son centre, et des chants de la Grande Guerre.

La mémoire des poilus célébrée à l'école

À l'occasion du 90ème anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918, les ministères de l'Éducation nationale et de la Défense proposent aux enseignants de faire travailler les élèves sur la vie d'un ou plusieurs combattants de leur commune à partir du monument aux morts ou en utilisant la base de données en ligne Mémoires des hommes.

Quelques semaines après la mort de Lazare Ponticelli, dernier survivant des combattants de la Grande Guerre, le gouvernement a pour objectif de donner un nouveau sens à l'enseignement de cette période de l'histoire. Il est demandé aux enseignants de «veiller à associer les élèves aux cérémonies qui seront organisées en hommage aux combattants». Ce qui pourra être complété par une étude du patrimoine historique et culturel lié à la guerre.

2008. Dix millions de morts, cela fait combien de larmes ?

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En 1918, 6 millions d'orphelins et les deux tiers des familles françaises sont touchées par le deuil. Mais, al guerre finie, on a trop vite voulu tourner la page avec de grandes commémorations. Près de 300 000 corps n'ont d'ailleurs jamais été retrouvés. Ainsi, cette blessure collective ne s'est jamais entièrement cicatrisée. Un phénomène du retour de la mémoire collective autour de la Première Guerre mondiale a commencé dans les années 1990, en particulier avec l'engouement autour du livre Paroles de poilus, lancé sur l’initiative de Radio France. Depuis, le succès remporté par des films consacrés à ce conflit (Un long dimanche de fiançailles, Joyeux Noël) ou des romans, comme Les Ames grises, de Philippe Claudel (prix Renaudot 2003), a confirmé cette curiosité durable.

Dans le même temps, Internet a multiplié les sources de recherche. Des centaines de sites, personnels ou officiels, diffusent désormais des photos, des récits d'anciens combattants. « Les gens retrouvent leurs ancêtres dans la guerre, avec leurs espoirs, leurs doutes, leurs souffrances, indique Rémy Cazals, professeur d'histoire à l'université de Toulouse-le Mirail. Ce qui les touche, c'est le sentiment qu'une personne de leur famille a été mêlée à cet événement mondial. » Ce sont les petits-enfants et arrière-petits-enfants de 1914-1918 qui ramènent désormais la guerre au premier plan. Les années 1914-1918 restent dans l'imaginaire collectif le symbole d'une France unifiée, héroïque, victorieuse. De nos jours, tandis que la France s'interroge sur son identité et sa cohésion sociale, la Grande Guerre demeure une référence. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, période entachée par la collaboration et la déportation, elle inspire globalement respect et fierté. Chacun peut donc puiser à sa guise dans ce mythe national qui suscite parfois la nostalgie d'une France disparue. En tout cas, la statue du poilu, figure idéalisée, continue de veiller sur chaque village, où les habitants peuvent lire leur propre nom de famille sur le monument aux morts.

(d’après Catherine Golliau)


1 L. Althusser, L’avenir dure longtemps, 1992.

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