Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

« Je serai Courbet ou je ne serai rien. »1

« Tiens, c’est peut-être pas si con, la chanson, ça pourrait m’intéresser… »
Serge Gainsbourg

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Avec son tableau

Après la guerre, Lucien revient à Paris, entre au lycée Condorcet dont il est renvoyé rapidement : il est en échec scolaire. Le Paris d’après-guerre est envahi par le jazz et les « zazous »2, ces jeunes gens qui dédaignent tout et tous. Saint-Germain-des-Prés est le cœur et l’âme de la capitale. Dans des caves enfumées on admire des musiciens d’Amérique. Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Juliette Gréco, Charles Trenet sont les maîtres des nuits parisiennes. Surtout Trenet qui éveille le jeune Lucien au swing. Trenet, le « fou chantant », est son idole. Lucien adore sa façon de fabriquer des chansons fantaisistes que tout le monde sait par cœur et sifflote dans la rue.

Il a 17 ans. Il habite encore avec ses parents. Sur le phonographe familial défilent toujours les œuvres sérieuses : Le Sacre du printemps de Stravinsky, La Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartok, et Chostakovitch, Prokofiev, Chopin… Il lit, énormément. Sur son chevet, on trouve, pêle-mêle : Adolphe de Benjamin Constant, Madame Bovary de Gustave Flaubert, Le Journal de l’année de la peste de Daniel Defoe. Plus tard viendront Nabokov (Lolita), Sartre, Apollinaire, Breton, Rimbaud, Baudelaire, Edgar Poe…

Il s’inscrit dans une école de musique pour apprendre le solfège. Parallèlement, il suit les cours de peinture de Fernand Léger : son but est de réussir le chef-d’œuvre. Comme son père, il apprécie les impressionnistes et les postimpressionnistes. Parmi ces derniers, Pierre Bonnard – le « Nabi3 japonais », comme l’appellent les critiques – occupe une place de choix. Mais, quand il arrive dans la Grande Galerie du musée, ce sont d’autres maîtres que Gainsbourg copie : Delacroix, Géricault et Courbet. Il transforme sa chambre en atelier d’artiste peintre. Ses parents sont contents : voilà enfin leur fils accroché à quelque chose. Quant à lui, il finit par abandonner définitivement sa formation. Honteux ou furieux, on ne sait, il déchire ses toiles car il ne se sent pas de taille face à un art qu’il adore. « Je serai Courbet ou je ne serai rien », affirme-t-il. Il ne sera donc rien dans ce domaine, parce que ce qu’il fait, c’est du « joli boulot », pas du tout celui d’un génie. De ces œuvres signées « Ginzburg », seules quelques-unes ont échappé par miracle à la destruction. « La peinture m’a marqué, expliquera-t-il. J’avais trouvé là un art majeur qui m’équilibrait intellectuellement. La chanson et la gloire m’ont déséquilibré. J’étais heureux quand je peignais… »

Pour gagner sa vie, il devient pianiste de bar comme son père. Joseph l’a formé à la rude école des pianistes à l’aise dans tous les genres. Alors, il observe cette nouvelle atmosphère et se dit, fasciné : « Voilà la vraie vie ! ». Mais surtout, à cette époque, il découvre le jazz et, comme tous les autres adolescents, tombe amoureux de Juliette Gréco. Plutôt de son image.


1 Gustave Courbet (1819-1877) – Peintre français, chef du courant réaliste.

2 Un courant de mode de la France des années 1930. Il s’agissait de jeunes gens reconnaissables à leurs vêtements anglais ou américains, et affichant leur amour du swing… Pendant l’Occupation, les zazous expriment leur non-conformisme et leur opposition au régime. Lorsque les lois raciales de Vichy et des nazis obligèrent les Juifs à porter l’étoile jaune, un certain nombre de zazous, par défi, s’affichèrent avec une étoile jaune marquée « zazou ». Ils sont déportés comme les autres. Par bravade, ils portent des vêtements trop longs, gardent les cheveux longs et mettent un point d’honneur à être toujours équipés d’un parapluie qu’ils n’ouvrent jamais. Boris Vian en est un exemple typique.

3 Nabi – désigne un mouvement artistique post-impressionniste d’avant-garde, né à la fin du XIXe siècle en réaction contre la peinture académique. Ses principaux représentants sont les peintres Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, Vallotton.

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