Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №2/2007

Arts et culture

Andreï Makine

Le Testament français

Andreï Makine est né en Russie en 1957. Docteur ès lettres de l’Université de Moscou, il a été professeur à l’Institut pédagogique de Novgorod et a collaboré à la revue Littérature moderne à l’étranger. Vivant en France, il a soutenu une thèse de doctorat à la Sorbonne. Il a reçu les prix Goncourt, Médicis et Goncourt des lycéens 1995 pour son roman Le Testament français.
Le héros de ce roman, un garçon russe, devenu plus tard écrivain, a une grand-mère française. Charlotte a passé presque toute sa vie en Russie du XXe siècle en partageant toutes les souffrances du peuple soviétique. Elle vit au fond de la Russie et quand ses petits-enfants viennent chez elle en vacances, ils parlent français, causent de la France que Charlotte avait connue et ils parlent aussi de sa vie en Russie. Dans le fragment ci-dessous, son mari qu’on croyait mort à la guerre revient dans la petite ville russe où elle l’attend en espérant au fond du cœur qu’il est vivant.

Amour

Par un soir tiède de septembre, elle sortit de la maison et marcha dans la rue déserte. Avant la nuit, elle voulait cueillir, aux abords de la steppe, quelques tiges d’aneth sauvage pour ses salaisons. C’est sur le chemin du retour qu’elle le vit …

Elle leva les yeux et le vit. Il marchait à sa rencontre, il était encore loin, au fond de la rue. Si Charlotte l’avait accueilli au seuil de la pièce, s’il avait ouvert la porte et était entré, comme elle imaginait cela depuis si longtemps, comme faisaient tous les soldats en revenant de la guerre, dans la vie ou dans les films, alors elle aurait sans doute poussé un cri, se serait jetée vers lui, aurait pleuré…

Mais il apparut très loin, se laissant reconnaître peu à peu… Ils ne coururent pas, n’échangèrent aucune parole, ne s’embrassèrent pas. Ils croyaient avoir marché l’un vers l’autre pendant une éternité. La rue était vide, la lumière du soir reflétée par le feuillage doré des arbres – d’une transparence irréelle.

Charlotte habitait au rez-de-chaussée d’une vieille maison en bois. Ils entrèrent en silence. Fiodor posa son sac sur un tabouret, voulut parler, mais ne dit rien. Charlotte se mit à préparer à manger. « Cet homme aux cheveux courts et comme saupoudrés de craie est mon mari. Je ne l’ai pas vu depuis quatre ans. On l’a enterré deux fois – dans la bataille de Moscou d’abord, puis en Ukraine. Il est là, il est revenu. Je devrais pleurer de joie. Je devrais… Il a les cheveux tout gris… » Il était revenu quand les feux de la Victoire s’étaient depuis longtemps éteints. La vie reprenait son cours quotidien. Il revenait trop tard. « Je dois lui paraître très vieille », pensa soudain Charlotte, mais même cette idée ne sut pas rompre l’étrange manque d’émotion dans son cœur, cette indifférence qui la laissait perplexe.

Elle pleura seulement quand elle vit son corps. Un corps criblé de cicatrices, de balafres… Des mots étonnés se formèrent en elle : « Moi, Charlotte Lemonnier, je suis là, dans cette isba ensevelie sous l’herbe des steppes, avec cet homme, ce soldat au corps lacéré de blessures, le père de mes enfants, l’homme que j’aime tant… »

Il vécut moins d’un an… Un peu avant sa mort, en hiver, ils déménagèrent dans l’appartement où, enfants, nous viendrions rejoindre Charlotte, chaque été.

En écoutant les récits des adultes, j’imaginais ainsi notre grand-mère durant ces retrouvailles incroyablement brèves : un soldat montait le perron de l’isba, son regard se noyait dans celui de sa femme, et il avait juste le temps de dire : « Je suis revenu, tu vois… », avant de tomber et de mourir de ses blessures.

[…] Je sentis sa voix trembler légèrement. « Elle aimait Fiodor, pensai-je tout simplement. C’est lui qui a fait que ce pays où elle a tant souffert puisse être le sien. Et elle l’aime encore. Après toutes ces années sans lui. Elle l’aime dans cette steppe nocturne, dans cette immensité russe. Elle l’aime… »

L’amour m’apparut de nouveau dans toute sa douloureuse simplicité. Inexplicable. Inexprimable. Comme cette constellation se reflétant dans l’œil d’une bête blessée, au milieu d’un désert couvert de glace (la grand-mère vient de raconter à son petit-fils une des histoires de sa vie : un jour en Asie, elle, blessée, a été sauvée dans un désert glacial par la chaleur du corps d’un saïgak, une bête blessée elle aussi).

Fiche pédagogique

par Tatiana JELEZNIAKOVA,
professeur de français, école № 1286, Moscou

VOCABULAIRE

aneth (m) – укроп
salaison (f) – соление
saupoudrer – посыпать (солью, сахаром, мукой)
craie (f) – мел
perplexe – озадаченный, растерянный, смущенный
cribler – изрешетить
cicatrice (f) – рубец, шрам
balafre (f) – рубец, шрам
ensevelir – хоронить, погребать
lacérer – рвать, кромсать
se noyer – тонуть, погружаться
constellation (f) – созвездие

QUESTIONS

1. Le retour du soldat après la guerre, qu’est-ce qu’il avait d’inattendu ?

2. Comment l’auteur décrit-il l’apparition du soldat ?

3. Comment décrit-il la rencontre avec sa femme ?

4. Combien de narrateurs sont présents dans le texte ?

5. Comment le garçon qui écoutait le récit de sa grand-mère, imaginait-il le retour du soldat ? Qu’est-ce qui a influencé et a déterminé l’image ?

6. Le garçon, qu’est-ce qu’il a compris de nouveau après le récit de Charlotte ?

7. Comment l’amour, lui a-t-il apparu ?

8. Et vous, qu’est-ce que vous pensez de l’amour ?

9. Qu’est-ce que vous pensez de la guerre ?

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