Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №15/2007

Arts et culture

Joséphine Baker : la magie noire de la « plus belle panthère »

(Suite. Voir début N° 6, 9, 12/2007)

1946-1953 : Le premier essor des Milandes

Peu après la guerre et des problèmes de santé à répétition, Joséphine consacra son énergie à transformer les Milandes, sa maison de campagne de Dordogne, en un mélange d’attraction touristique et de centre d’éducation. Elle avait le projet d’adopter des enfants de races et de nationalités diverses pour démontrer les possibilités de fraternité du monde et construire autour d’eux une communauté modèle. Dans ce projet, Jo Bouillon, le chef d’orchestre français qu’elle avait épousé en 1947, devait jouer un rôle essentiel.

Tout cela coûtait de l’argent . Joséphine devait remonter sur scène. À l’automne 1949, elle menait une fois de plus la revue aux Folies Bergère, intitulée Fééries et Folies.

Une tournée américaine mouvementée

Après un passage décevant aux États-Unis en 1948, principalement dû à des problèmes de couleur de peau, Joséphine était décidée d’y retourner et de montrer de quoi elle était capable. En 1951, elle commença par se rendre à Cuba. Elle y rencontra un tel succès que la direction du Copa City de Miami l’engagea pour un grand spectacle.

Elle exigea dans les négociations que son contrat comporte une clause de non-discrimination : elle n’accepterait de se produire que si les noirs étaient admis parmi les spectateurs. Jamais auparavant aucun artiste ne s’était produit à Miami devant un public mixte, et les négociations avec le Copa City furent longues et difficiles. Elle s’y produisit en janvier 1951. En mars, elle passa au Strand, un grand cinéma de New York, puis elle partit pour Chicago, Boston et Hollywood. Les critiques furent toutes excellentes. À quarante-cinq ans, Joséphine obtenait enfin, non comme curiosité mais comme artiste à part entière, le succès qu’elle avait toujours espéré aux États-Unis.

Parallèlement à son spectacle, elle se battit alors un peu partout pour les droits civiques et pour l’intégration des noirs, n’hésitant à contredire les règlements des restaurants, des hôtels et de certaines entreprises. Cette activité d’intégration culmina en octobre 1951, au Stork Club de New York.

Ses convictions politiques, plus qu’étranges, l’amenèrent à se nuire davantage en se rendant en Argentine en 1952, séduite par Peron, et en prononçant des discours clairement anti-américains. Quand, pour la punir, le service d’immigration menaça de ne plus la laisser entrer aux États-Unis, elle répliqua avec irritation qu’être exclue des États-Unis serait pour elle un honneur. Et c’est ainsi qu’elle acheva de se fermer le plus vaste auditoire de son talent.

1954-1968 : Une succession d’adoptions

Joséphine avait dans l’idée depuis quelque temps d’adopter quatre enfants – un noir, un blanc, un jaune, un rouge – qui seraient élevés aux Milandes. Elle connaissait déjà le nom qu’elle donnerait à sa famille : la tribu Arc-en-Ciel. Si Joséphine avait connu une enfance difficile à Saint Louis, elle était décidée de donner le meilleur à ses bambins, de les choyer et de les dorloter.

Joséphine adopta son premier enfant au Japon lors de la tournée qu’elle y fit au printemps 1954. Il avait près de deux ans et s’appelait Akio.

Elle adopta lors de ce même voyage un autre enfant : Tenuya, qui sera renommé Janot. Joséphine était constamment en tournée et, à partir de 1954, ramena des enfants de ses voyages un peu comme on ramène des souvenirs. Pour son enfant blanc, elle alla en Scandinavie d’où elle ramena Jari. En Colombie, elle trouva Luis, un petit noir. Joséphine avait désormais quatre enfants : deux orientaux, un blanc et un noir. Jari était protestant, Akio bouddhiste, Luis catholique et Janot shintoïste. Elle adopta en France Jean-Claude, catholique, puis Moïse, juif. Pour Jo Bouillon, le nombre de six enfants était plus que suffisant. Joséphine ne l’entendait pas de cette oreille. Ainsi, chaque nouvelle adoption provoquerait une dispute dans le couple. Des cyniques prétendaient qu’elle se servait de ses enfants pour sa carrière et sa popularité. Quoi qu’il en soit, ses enfants coûtaient cher.

De sa tournée en Afrique du Nord de 1956, Joséphine ramena deux enfants, un garçon et une fille : Brahim, musulman, et Marianne, catholique. Un an plus tard, d’une autre tournée en Afrique, elle ramena Kofi, un Ivoirien. En 1959, elle adopta un petit Indien du Venezuela prénommé Mara. La même année, à Noël, elle ramena André renommé Noël. Comme douzième et dernier enfant, elle adopta encore une fille, née en France, Stellina. La tribu était au complet.

Mais, en plus des enfants qu’elle se destinait, Joséphine revint un jour à la maison avec un bébé pour sa sœur : Rama.

Le début des problèmes financiers

La « capitale de la fraternité » de Joséphine coûtait de plus en plus d’argent. À la fin des années cinquante, période la plus faste des Milandes, le domaine accueillait 300 000 visiteurs par an. Mais Joséphine ne sut jamais gérer l’argent. De plus, « Jo et Jo » étaient rarement d’accord sur la façon dont il fallait gérer le domaine. Aussi Bouillon décida-t-il de se séparer de son épouse. Installé d’abord à Paris en 1960, il partit pour Buenos Aires et y ouvrit un restaurant français. Après son départ, les dettes des Milandes devinrent encore plus importantes.

Les années soixante constituèrent la période la plus troublée dans la vie de Joséphine Baker. Séparée de Jo Bouillon, écrasée par les dettes, courant les cachets à Paris et en tournée, elle se sentait perdue. Elle n’en oubliait pas pour autant son combat pour l’égalité et la fraternité des peuples. À ce titre, elle participa en 1963 à la « Marche de Washington » qui fut l’un des grands moments de sa vie..

Des menaces de vente répétées, annonçant la fin des Milandes

En février 1964, le domaine était sur le point d’être vendu pour rembourser deux millions d’anciens francs de dettes. Brigitte Bardot, alors au sommet de sa gloire, lança à la télévision un appel de fonds pour sauver les Milandes. La vente fut ainsi suspendue. Néanmoins, certains détracteurs prirent mal l’appel de Bardot : était-ce légitime d’appeler à aider des enfants élevés dans un château ?... En juillet 1964, alors que Joséphine se battait pour sauver les Milandes, elle eut une première crise cardiaque. En octobre, elle eut une autre petite attaque. La gestion du domaine était la cause de l’épuisement de Joséphine, mais pas la seule ; les enfants étaient devenus des adolescents et causaient beaucoup de soucis.

Durant toute la dernière partie des années soixante, les Milandes furent sans cesse menacés de confiscation par des créanciers et sauvés en dernière minute grâce aux efforts de Joséphine ou de ses amis. Certaines personnes connaissant la situation estimaient qu’elle aurait pu conserver le domaine à condition de vendre une partie des terres, ce à quoi elle se refusait.

En 1968, Joséphine se retrouva sur la scène de l’Olympia pour sauver les Milandes, avec l’aide de Bruno Coquatrix et de la firme de disques Pathé Marconi qui édita un 33 tours spécial pour l’occasion. Dalida vint la voir et la soutenir dans son combat.

Elle profita d’être à Paris durant les troubles de mai 1968 pour participer à la marche de soutien à de Gaulle. Le domaine des Milandes, lui, avait été vendu au début de l’année, mais Coquatrix avait réussi à obtenir que la vente soit annulée, et l’on avait donné à Joséphine jusqu’à mai pour rembourser une dette qui approchait du demi-million de dollars. Une deuxième vente eut donc lieu en mai, rapportant beaucoup moins que ne valait la propriété et Coquatrix ne put cette fois-ci l’annuler. Néanmoins, Joséphine pouvait toujours profiter du château jusqu’au printemps 1969. C’est ainsi qu’elle s’y barricada, décidée à ne pas abandonner son domaine, pendant que ses enfants étaient à Paris. Elle fut expulsée violemment par des hommes engagés par le propriétaire et termina sur le perron de la cuisine en chemise de nuit, à coté d’un amas de détritus.

1969-1975 : Une « résurrection » artistique

Joséphine, suite à son expulsion violente des Milandes, fut hospitalisée mais eut les forces nécessaires pour se produire peu après à la Goulue, le restaurant de Jean-Claude Brialy à Paris. Le lundi, son jour de relâche, Joséphine parcourait l’Europe en solitaire pour aller honorer des engagements à Bruxelles, Copenhague, Amsterdam ou Berlin.

Toujours en 1969, la Société des bains de mer de Monte-Carlo la choisit pour tenir le haut de l’affiche du bal de la Croix Rouge monégasque.

Au même moment, la princesse Grace de Mocaco avança les premiers fonds pour l’achat d’une villa à Roquebrune. La Croix Rouge prit le relais. La tribu Arc-en-Ciel trouvait dans cette maison un nouveau repère pendant que Joséphine continuait de courir les cachets pour faire vivre sa progéniture.

Un come-back remarqué

Joséphine se produisit quatre jours au Carnegie Hall de New York en juin 1973. Agée de soixante-sept ans, elle se présentait au public en maillot couleur chair. Son corps était toujours splendide et ses tenues exhubérantes. Malgré une extinction de voix, le succès fut au rendez-vous, si bien qu’une tournée fut organisée.

Elle s’envola ensuite vers la Suède et chanta au Tivoli de Copenhague qui l’avait régulièrement reçue durant les années soixante. Pourtant, Joséphine se trouvait à cette époque très malade. Les soucis que lui causait la tribu et des problèmes cardiaques l’obligèrent à tempérer ses ardeurs scéniques.

Le jubilé de Bobino 1975

En 1974, la Société des bains de mer de Monte-Carlo demanda à nouveau à Joséphine d’être la vedette du gala annuel au profit de la Croix Rouge. Le décorateur André Levasseur imagina un show extravagant qui, une fois de plus, racontait l’histoire de Joséphine à travers une série de tableaux résumant sa vie : son enfance, la Revue Nègre, son engagement dans la Résistance, etc. Tout le monde espérait que, si c’était un succès, le spectacle monterait à Paris. Et ce fut un succès. Joséphine était devenue une légende.

Le Casino de Paris s’étant refusé, c’est Bobino qui accueillit ce spectacle qui devait célébrer les cinquante ans de carrière de Joséphine, les cinquante ans d’amour avec son cher Paris. Le 8 avril 1975 fut le jour de la première.

Dans la salle se trouvait le général de Boissieu, gendre de de Gaulle, Sophia Loren, Mick Jagger, Mireille Darc, Alain Delon, Jeanne Moreau, Tino Rossi, Pierre Balmain et la princesse Grace de Monaco, invitée d’honneur. Le spectacle, pour lequel toutes les places avaient été vendues des semaines à l’avance, ne recueillit pratiquement que des critiques extasiées. Après le spectacle, deux cent cinquante personnes étaient invitées à souper au Bristol.

Le lendemain, Joséphine donna son spectacle. Le jeudi, elle se leva, passa quelques coups de téléphone, déjeuna légèrement et se coucha pour faire sa sieste habituelle. Elle ne devait plus se réveiller. Ayant sombré dans le coma, terrassée par une hémorragie cérébrale, elle fut immédiatement conduite à la Salpêtrière, où elle s’éteignit peu après.

Les funérailles nationales télévisées auxquelles elle eut droit étaient quasi sans précédent pour un artiste. Le cortège passa devant Bobino où son nom brillait et gagna la Madeleine. Parmi les célébrités et les dignitaires qui, trois jours plus tôt, assistaient à sa première, plusieurs étaient présents, dont la princesse Grace et Sophia Loren. Même morte, Joséphine continuait d’être vivante. Le mythe était né dès 1925.

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