Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2008

Arts et culture

La dernière vie : Gainsbarre suicidaire

« Être ou ne pas être, question, réponse. »1
Serge Gainsbourg

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Un chanteur à la barbe de trois jours, punk en blouson de cuir et en chemise bleue ouverte sur un torse vieillissant, la gitane en permanence au coin des lèvres… Voilà Gainsbarre, l’homme qui brûlait les billets de 500 francs devant les caméras, qui offrait un spectacle misérable aux médias, qui en redemandaient à chaque fois. Voilà surtout la figure qui a fini par s’incruster dans l’imaginaire français, au point d’en faire oublier l’homme qui se cachait derrière. Comme si, le 2 mars 1991, deux hommes distincts s’étaient éteints : le provocateur désabusé et le compositeur qui a laissé une trace ineffaçable dans le paysage de la musique française.

Gainsbourg commence à se transformer en Gainsbarre, artiste suicidaire, en 1980. Cette année-là, Jane quitte Gainsbourg et emmène ses filles Kate (13 ans) et Charlotte (9 ans). Sa Jane, sa muse, son amour, sa Galatée le quitte, ou plutôt c’est lui qui la pousse à partir, lui menant une vie infernale parce que, fidèle à lui-même, il fuit le bonheur de peur qu’il ne lui échappe. Depuis, Gainsbourg n’est plus que l’ombre de lui-même. « Jane Birkin, je ne l’ai pas détruite. Je l’ai perdue et je me suis détruit, moi-même. Consciemment », avouera-t-il.

img2C’est alors que commence sa dernière vie, sa descente aux enfers, longue de onze ans, qui s’accompagne d’un comportement qui choque plus que jamais… De cette ultime décennie, on se souvient des clowneries télévisées d’un artiste doué pour fabriquer des scandales. De ses films (Stan the Flasher et Charlotte for Ever) et de son livre (Evguénie Sokolov) qui déçoivent le public et la critique.

À son domicile, rue de Verneuil à Paris, tout est noir, des plafonds aux meubles. C’est une véritable « tombe égyptienne », où les éclairages se reflètent sur la laque obscure. Chaque objet est à sa place, posé au millimètre, les bouger provoque des réactions très vives du maître des lieux ! On y trouve des tas de choses inutiles et précieuses : un lit à baldaquin2 genre arabe, l’homme à la tête de chou, cinq pianos dont un qui joue tout seul, des canapés, des collections de petits singes… « Je m’entoure d’objets précieux, j’encombre mon hôtel particulier d’objets inutiles et très beaux pour supporter, pour avoir une solitude un peu luxueuse. Moins dépressive… Mais la vraie solitude, maintenant, je sais ce que c’est ! »

img3Il va cependant continuer à travailler d’arrache-pied. Chez lui, son répondeur téléphonique délivre le message suivant : « Être ou ne pas être, question, réponse ». Et lui-même a, de son propre aveu, les idées plus claires la nuit, pendant laquelle il s’efforce de « composer jusqu’à la décomposition ».

Il écrit des paroles pour Julien Clerc, Sacha Distel et Jacques Dutronc (album Guerre et pets). Il donne deux concerts triomphaux à Bruxelles, au Cirque Royal, signe la bande originale du film Je vous aime de Claude Berri avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Alain Souchon, Jean-Louis Trintignant et lui-même.

Et cependant, ce n’est plus la même personne. Il change même de nom. Il n’est plus Serge Gainsbourg, il veut qu’on l’appelle Gainsbarre. Et le personnage de Gainsbarre semble avoir dévoré le créateur Gainsbourg. Il s’en rend compte mais n’y peut rien. Il forge ainsi sa légende de poète maudit mal rasé et ivre qui lui vaut tantôt l’admiration, tantôt le dégoût.

Est-ce un hasard qu’en 1981, il donne à Bayon, critique musical du journal Libération, une vraie fausse « interview posthume » ? En personnage freudien3 de l’extrême, Gainsbourg désigne et chante ce qui, dans la vie, peut faire préférer la mort.


Je mourrai un dimanche où j’aurai
trop souffert
Alors tu reviendras mais je serai
parti…
Des cierges brûleront comme
un ardent espoir
Et pour toi sans effort mes yeux
seront ouverts.

Evguénie Sokolov

« Moi, je me déguise en homme, pour n’être rien. »
Francis Picabia

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A-t-il jamais été heureux, cet homme-là ?

Au printemps 1980, Serge Gainsbourg publie un court roman Evguénie Sokolov, fortement teinté de moquerie. On découvre l’histoire d’un jeune peintre français d’origine slave, talentueux, reconnu, chef du courant de l’« hyperabstraction » qui produit des dessins qui ont un grand succès et fascinent ses contemporains. Fidèle à son sens de la provocation, Serge Gainsbourg va étonner en romancier par son style précis, scientifique, presque chirurgical, et par l’originalité de son récit cynique, à la limite de la vulgarité. En fait, c’est une « autobiographie prise au grand-angle4 » d’après l’auteur.

Dans son roman, il imagine une rencontre entre le peintre Sokolov et l’un de ses admirateurs :

« J’appris ainsi que mon homologue5 s’appelait Arnold Krupp, qu’il était chirurgien, collectionneur de toiles et gravures de maîtres contemporains de surcroît, et avait entre autres en sa possession deux Klee, trois Picabia et neuf Sokolov.

Au café, nous en vînmes cependant à parler de Dada. Les surréalistes n’étaient pas loin, ils vinrent aux liqueurs et les hyper abstraits aux cigares que nous eûmes toutefois quelque peine à allumer dans la tempête des vents réciproques. »


1 Il s’agit de l’annonce d’accueil enregistrée sur le répondeur téléphonique de Serge Gainsbourg, rue de Verneuil.

2 Lit surmonté de tentures, soutenues par des colonnes.

3 Freudien – relatif aux théories de Sigmund Freud (1856-1939), médecin neurologiste viennois, père de la psychanalyse.

4 En cinéma, le grand-angle est un objectif qui permet un cadrage large d’objets rapprochés. Il est utilisé, par exemple, pour les panoramas.

5 Qui a la même place, la même fonction.

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