Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №5/2009

Arts et culture

Tatiana JARKOVA

La vie et l’œuvre de Guillaume Apollinaire

« Il fut un “voyant” considérable. »
André BRETON

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Guillaume Apollinaire est l’un des principaux poètes français du début du XXe siècle. De son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitsky, il naît à Rome en 1880. Il est le fils d’un officier italien et d’une comtesse polonaise Angelica de Kostrowitzky, personne frivole et fantasque. Il vit avec sa mère et ses frères à Monaco, Nice, Paris, et garde de sa jeunesse le goût des voyages et un esprit curieux.

En 1899, Guillaume Apollinaire passa quelques mois à Stavelot (dans l’Ardenne belge). Ici il rencontra sa première grande inspiratrice, Maria Dubois, aussi jolie que spirituelle et il connut tant de paysages nouveaux, d’images étonnantes et de visages inoubliables qui, très longtemps après parfois, seront pour lui autant de sources d’inspiration pour maintes œuvres.

En 1899, la famille se fixe à Paris. Apollinaire trouve un poste de précepteur qui lui permet d’effectuer de nombreux voyages à travers l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie (1901-1902). Là, il s’éprend de la gouvernante anglaise Annie Playden et son œuvre poétique va puiser de précieux thèmes d’inspiration. De retour dans la capitale, il donne ses premières œuvres à des revues littéraires et se lie d’amitié avec Alfred Jarry, Eugène Montfort, Max Jacob et André Salmon. Sa rencontre avec le peintre Marie Laurencin (1908) exerce une influence durable sur sa sensibilité. Devenu l’ami de Picasso, de Derain, de Vlaminck, de Braque, de Matisse, Guillaume Apollinaire célèbre l’art nouveau, l’art contemporain d’avant-garde qu’il défend contre l’incompréhension du grand public.

Par besoin d’argent et par goût de la littérature « libre », il écrit deux romans publiés sous le manteau : Les Onze Mille Verges (1907) et Les Exploits d’un jeune Don Juan (1907). En 1909, il publie L’Enchanteur pourrissant, récit en prose poétique inspiré de la légende médiévale de Merlin et illustré par Derain ; en 1910, un recueil de nouvelles L’Hérésiarque et Cie. En 1911, Apollinaire publie son premier recueil, une charmante fantaisie poétique, une suite de brefs poèmes illustrés par Dufy, Le Bestiaire ou cortège d’Orphée.

En septembre 1911, à la suite d’un vol au musée du Louvre, il est accusé de complicité et incarcéré à la Santé pendant cinq jours. Son innocence est reconnue et le non-lieu prononcé, mais après avoir été violemment attaqué par une presse xénophobe et menacé d’expulsion. Cette épreuve laisse en lui une trace profonde.

En 1913, sans cesser d’approfondir sa réflexion sur la peinture moderne (Les Peintures cubistes, médiations esthétiques), il publie Alcools, recueil de ses meilleurs poèmes écrits depuis 1898. Le titre, qui fait de la poésie l’équivalent d’un paradis artificiel, interdit de rechercher un principe rationnel. Le modernisme du recueil est lié à ce principe d’anarchie ainsi qu’au mélange des effets de sincérité et d’artifice propre à l’auteur. Ce titre Alcools fait référence au Rimbaud du Bateau Ivre et du « dérèglement de tous les sens », ainsi qu’au poème en prose de Baudelaire : «Il faut toujours être ivre : de vin, de vertu ou de poésie ». Le Pont Mirabeau, paru en 1913 dans le recueil Alcools qui mêle des poèmes composés entre 1898 et 1913, est caractéristique de la mélancolie apollinarienne. Cette élégie, devenue l’un des grands classiques de la poésie française, exprime le regret du temps qui passe et de l’amour qui s’enfuit.

À la veille de la guerre, Apollinaire apparaît de plus en plus comme le défenseur de l’avant-garde. Il fréquente les peintres et les poètes du Bateau-lavoir : Max Jacob, André Salmon, Derain, Picasso, plus tard Cendrars, Robert et Sonia Delaunay, Francis Picabia.

En 1914, Apollinaire s’engage dans l’armée française et combat dans l’artillerie, puis l’infanterie. Au décembre 1914, il vit, avec Louise de Coligny-Châtillon (Lou), une brève aventure amoureuse qui s’achemine vers une douloureuse rupture (Ombre de mon amour, publ. 1947). Dans sa correspondance avec Madeleine Pagès, sa fiancée, publiée plus tard (Tendre comme le souvenir, 1952), le poète livre d’intéressantes confidences sur son art et sur ses lectures.

Il est blessé le 17 mars 1916 d’un éclat d’obus à la tempe et deux fois trépané. Renvoyé à l’arrière, il revient à la vie littéraire. En 1916, il publie par les soins de ses amis Le Poète assassiné, un nouveau recueil de nouvelles dont la première, qui donne son titre au volume, est une autobiographie mythique, tragique et ludique. Apollinaire obtient, dès sa guérison, d’être détaché dans divers services de l’arrière.

En 1917, il publie un mince recueil de poèmes, illustré par Rouveyre, Vitam imprendere amori. Le 24 juin 1917, Apollinaire fait représenter Les Mamelles de Tirésias, qu’il qualifie de drame surréaliste. La même année dans une conférence intitulée « L’Esprit nouveau et les poètes », il exalte l’imagination créatrice et préconise l’esthétique de la surprise tout en se réclamant des valeurs de l’humanisme classique. Cependant, autour de lui, avaient commencé à se réunir de jeunes poètes appelés André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon, qui devaient former plus tard le noyau du groupe surréaliste. Cet adjectif sera repris par André Breton en hommage au poète de l’esprit nouveau, qui fondait son art sur la « surprise ».

Ayant épousé Jacqueline Kolb, Apollinaire redevient le collaborateur de nombreux journaux, publie encore un recueil de chroniques, Le Flâneur des deux rives (1918). Il compose encore des « poèmes conversations » et des « idéogrammes lyriques » qu’il rassemble quelques années plus tard dans Calligrammes (1918).

Apollinaire meurt prématurément le 9 novembre 1918 à Paris, emporté par la grippe espagnole.

Tenu longtemps pour un génie fantaisiste et mystificateur, Apollinaire a vu croître sa gloire avec les années. Il a pressenti hardiment par quelles voies il fallait que s’engageât la poésie moderne (autonomie des images, rupture de la syntaxe, abandon de la ponctuation, art du collage littéraire, modernisme du vocabulaire). Il fut aussi l’un des initiateurs les plus perspicaces de l’art moderne. Issu du symbolisme, il s’est affranchi très tôt de toute influence d’école pour enrichir l’univers de la poésie de modulations d’une résonance unique, d’images insolites et neuves, et lui rendre le sens du lyrisme et du mystère. De nombreux musiciens ont mis en musique sa poésie.

Apollinaire et les femmes : poèmes et portraits

Non seulement dans la poésie d’Apollinaire, mais aussi dans ses textes de fiction passent, plus ou moins déguisées ou métamorphosées, des figures féminines. À Stavelot, il tourna le madrigal, parfois en wallon, pour Mareye (Marie Dubois). En Allemagne, sa passion pour la jeune Anglaise Annie Playden fut profonde et durable, et l’échec le laissa désemparé. Sa liaison avec Marie Laurencin, de 1907 à 1912, fut celle d’un poète avec une artiste, souvent heureuse, parfois orageuse. Pendant la guerre, il eut une aventure ardente et brève avec Lou (Louise de Coligny-Châtillon), puis se fiança avec Madeleine Pages qu’il abandonna après sa blessure. Enfin il épousa, six mois avant sa mort, Jacqueline, la «jolie rousse».

Marie Dubois (Mareye)

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Mareye

Mareye était très douce étourdie et charmante
Moi je l’aimais d’Amour m’aimait-elle, qui sait ?
Je revois parfois à la lueur tremblotante
Des lointains souvenirs cet Amour trépassé.

Sur ma bouche je sens celle de mon amante
Je sens ses petites mains sur mon front glacé
Ses mains dont doucement elle me caressait
Ses rares mains de sainte pâle ou bien d’infante

Mon amante d’antan dans quels bras t’endors-tu
Pendant l’hiver saison d’amour où les vents
pleurent
Où les amants ont froid où les passants
se meurent

Sous les tristes sapins meurent en écoutant
Les elfes rire au vent et corner aux rafales ?
Songes-tu quelquefois quand les nuits sont bien pâles
Que telles nos amours sont mortes les étoiles ?

(Poèmes inédits)

Annie Playden

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Annie

Sur la côte du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose

Une femme se promène souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls
Nous nous regardons

Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vêtements n’ont pas de boutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons le même rite

(Alcools)

Marie Laurencin

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Marie

Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles d’automne
Qui jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

(Alcools)

Louise de Coligny-Châtillon (Lou)

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***

Je pense à toi mon Lou ton cœur est ma caserne
Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est
ma luzerne

Le ciel est plein ce soir de sabres d’éperons
Les canonniers s’en vont dans l’ombre lourds
et prompts

Mais près de toi je vois sans cesse ton image
Ta bouche est la blessure ardente du courage

Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix
Quand je suis à cheval tu trottes près de moi

Nos 75 sont gracieux comme ton corps
Et tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus
qui éclate au nord

Je t’aime tes mains et mes souvenirs
Font sonner à toute heure une heureuse fanfare
Des soleils tour à tour se prennent à hennir
Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles

(Poèmes à Lou)

Madeleine Pagès

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Pour Madeleine seule

Lune candide vous brillez moins que les hanches
De mon amour
Aubes que j’admire vous êtes moins blanches
Aubes que chaque jour
J’admire ô hanches si blanches
Il y a le reflet de votre blancheur
Au fond de cet aluminium
Dont on fait des bagues
Dans cette zone où règne la blancheur
Ô hanches si blanches

(Poèmes à Madeleine)

Jacqueline Kolb (la Jolie rousse)

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La Jolie rousse

Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis
dans l’effroyable lutte
Je sais d’ancien et de nouveau autant
qu’un homme seul
pourrait des deux savoir
Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition
et de l’invention
De l’Ordre et de l’Aventure

Vous dont la bouche est faite à l’image
de celle de Dieu
Bouche qui est l’ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure

Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et étranges
domaines
Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme
où tout se tait
Il y a aussi le temps qu’on peut chasser
ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours
aux frontières
De l’illimité et de l’avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés

Voici que vient l’été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
Ô Soleil c’est le temps de la Raison ardente
Et j’attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu’elle prend afin que je l’aime seulement
Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant
Elle a l’aspect charmant
D’une adorable rousse

Ses cheveux sont d’or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les rose-thé qui se fanent

Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d’ici
Car il y a tant de choses que je n’ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi

(Calligrammes)

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