Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №6/2009

Je vous salue, ma France

La Bretagne avec Madame de Sévigné, Chateaubriand et Renan

1. Madame de Sévigné aux Rochers-Sévigné

img1

À six kilomètres de Vitré, porte d’entrée de la Bretagne, se niche le château des Rochers-Sévigné. C’est un élégant manoir, flanqué de deux tours rondes qui lui donnent un aspect fortifié. Autour de ce monument, Le Nôtre, jardinier du roi à Versailles, a dessiné un jardin à la française. Ce lieu est attaché à Mme de Sévigné, la célèbre marquise, grande épistolière, qui nous laissa une immense correspondance de plus de quinze cent lettres.

Née à Paris en 1626, la jeune Marie de Rabutin épouse en 1644 Henri de Sévigné, d’ancienne noblesse bretonne. C’est ainsi que dans l’été 1644, elle découvre la seigneurie des Rochers. Elle séjourne à cinq reprises aux Rochers de 1644 à 1651, année du décès d’Henri de Sévigné, tué en duel.

Jeune veuve, Mme de Sévigné va s’attacher à cette propriété. Elle y fera seize séjours, jusque en 1690. Nous connaissons les détails de ces séjours par les lettres qu’elle y écrivit (297, dont 262 adressées à sa fille devenue Mme de Grignan).

La Correspondance nous permet de suivre les travaux, en 1671 : « Nous sommes occupés de notre chapelle ; elle sera achevée à La Toussaint ». Cette chapelle fut inaugurée en 1675. On la visite toujours aujourd’hui. Mme de Sévigné est passionnée par l’embellissement du parc qu’elle a fait planter après son veuvage et qu’elle qualifie « d’une beauté extrême ». Ainsi, on peut toujours flâner dans l’Allée du Mail (partie boisée du parc, la plus proche du château, à l’ouest de celui-ci). On peut toujours y rêver en sa compagnie et bien observer les troncs des arbres : « J’étais hier dans une petite allée à main gauche du Mail, très obscure, je la trouvai belle. Je fis écrire sur un arbre : “Et du milieu de l’horreur surgit le plaisir” ». Cette citation nous révèle l’habitude qu’avait prise la Marquise de parsemer ses arbres de citations édifiantes d’auteurs anciens ou classiques. Nous trouvons sous sa plume : « Je lis, je travaille, je me promène, je ne fais rien : “Belle cose farniente” dit un de mes arbres, l’autre lui répond : “L’amour déteste les paresseux” et c’est une citation extraite de L’Art d’aimer d’Ovide ».

img2

Château des Rochers

Elle s’amuse d’écrire deux sentences contraires sur deux arbres voisins : « L’absence guérit toute blessure » et « Blessure d’amour ne guérit jamais ».

À la recherche de ces citations, difficiles à retrouver aujourd’hui, il faut parcourir les magnifiques allées du parc : la Grande Allée (ou Allée Royale) qui mène à la majestueuse place Madame. Il y a aussi l’Allée de l’Infini, l’Allée du Point Jour « où le couchant fait des merveilles », l’Allée Verte, la Solitaire et le Labyrinthe à l’extrémité nord-ouest du parc.

Elle écrit à sa fille en juillet 1671 : « Je viens de faire un voyage dans mon petit labyrinthe. Je vous avoue que c’est un de mes plaisirs de me promener toute seule. Je trouve quelques labyrinthes de pensées dont on a peine à sortir, mais on a la liberté de penser à ce qu’on veut ». Dès qu’elle peut quitter la compagnie de la noblesse bretonne, la Marquise cherche l’isolement : « Pour moi, ma fille, je voudrais être au bout de la semaine, afin de quitter tous les hommes de ce monde, pour jouir de moi-même aux Rochers ».

img3

Combourg

Mais tout de même la beauté et la tristesse des lieux vont de pair dans les états d’âme de la Marquise. Si de belles pages décrivent le printemps ou les ciels d’automne, d’autres font le récit des pluies bretonnes continuelles. Alors « sans la consolation de la lecture, nous mourrions d’ennui… ». Car notre épistolière est une grande lectrice. Dans ce château on lisait beaucoup. « Mon fils nous lit des livres agréables… Nous raisonnons sur ce que nous avons lu. Mon fils est infatigable, il lit cinq heures de suite… » (septembre 1689).

Elle n’est pas toujours tendre pour ses voisins. Elle tourne en dérision provinciaux et provinciales ridicules. La capacité d’absorption de vin des Bretons l’étonne : « Il passe autant de vin dans le corps d’un Breton que d’eau sous les ponts ».

Mme de Sévigné a, bien sûr, vécut à Paris (dans l’hôtel Carnavalet) et elle finit ses jours chez sa fille à Grignan où elle s’installe en 1694 avant de s’éteindre en 1696 à l’âge de 70 ans. C’est cependant encore aux Rochers, où elle séjourne presque tout le temps durant les deux dernières années, qu’elle goûte avec acuité la poésie de la nature : « Nous avons eu, ma fille, les plus beaux jours du monde jusqu’à la veille de Noël. J’étais au bout de la grande allée, admirant la beauté du soleil quand tout d’un coup je vis sortir du couchant un nuage noir et poétique où le soleil alla plonger, en même temps un brouillard affreux et moi de m’enfuir… »

2. Chateaubriand à Combourg

img4

À 50 km de Rennes, en remontant vers le nord, à mi-chemin de Saint-Malo, se trouve la petite ville de Combourg : « … Nous découvrîmes une vallée au fond de laquelle s’élevait, non loin d’un étang, la flèche de l’église d’une bourgade. À l’extrémité de cette bourgade les tours d’un château féodal montaient dans les arbres d’une futaie éclairée par un soleil couchant… En sortant de l’obscurité du bois, nous franchîmes une avant-cour plantée de noyers, attenante au jardin et à la maison du régisseur ; de là, nous débouchâmes par une porte basse dans une cour de gazon appelée la Cour Verte… Au fond de la cour, dont le terrain s’élevait insensiblement, le château se montrait entre deux groupes d’arbres. Sa triste et sévère façade présentait une courtine portant une galerie à mâchicoulis denticulée et couverte. Cette courtine liait ensemble deux tours inégales en âge, en matériaux, en hauteur et en grosseur, lesquelles tours se terminaient par des créneaux surmontés d’un toit pointu, comme un bonnet posé sur une couronne gothique. » C’est ainsi que le jeune Chateaubriand, âgé de 9 ans, découvre le château de Combourg en 1777. Il y arrive accompagné de sa mère et de ses quatre sœurs. Le jeune Alphonse a derrière lui une lignée de Chateaubriand dont les origines remonteraient au XIe siècle. Combourg va donc être omniprésent dans la vie de ce futur génie littéraire une décennie durant. Il est impressionné par le lieu : « Dans les diverses parties de l’édifice, des passages et des escaliers secrets, des cachots et des donjons, un labyrinthe de galeries couvertes et découvertes, des souterrains murés inconnus ; partout silence, obscurité et visage de pierre : voilà le château de Combourg. »

img5

Château de Combourg

Les trois premiers livres des Mémoires d’outre-tombe, écrits entre 1811 et 1817 par un Chateaubriand adulte qui avait déjà traversé la Révolution, l’Empire, la Restauration, nous livrent ses souvenirs de jeunesse. Collégien à Dôle, puis à Rennes et à Brest, il passait ses vacances à Combourg avant d’y vivre deux années entières de 1784 à 1786, années où il renonça à la marine, puis à la prêtrise et où il hésita sur la carrière militaire. Combourg se visite toujours.

Alors parcourons le château en compagnie du jeune homme. « Le calme morne du château de Combourg était augmenté par l’humeur insociable de mon père. Au lieu de resserrer sa famille et ses gens autour de lui, il les avait dispersés à toutes les aunes de vent de l’édifice. Moi, j’étais niché dans une espèce de cellule isolée, au haut de la tourelle. »

img6

Monument à Chateaubriand

Son père, austère, froid et sévère, lui imposait la solitude nocturne dans ce donjon désert. Il faut dire qu’avant de regagner son donjon isolé, il devait inspecter le derrière des portes afin de s’assurer qu’il ne s’y cachaient ni voleurs, ni fantômes, car il était hanté par cette légende selon laquelle « un certain comte de Combourg à jambe de bois, mort depuis trois siècles apparaissait à certaines époques et qu’on l’avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle ; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule ou avec un chat noir ».

Lorsque vous serez dans le salon, reportez-vous à la description qu’en fait Chateaubriand et surtout imaginez ces personnes au cours des longues soirées d’hiver : la mère affalée sur le canapé, les deux jeunes gens chuchotant au coin du feu et le père faisant les cent pas dans cette grande salle, et épiant la moindre parole. C’est dans cette atmosphère triste et sévère que se forma le caractère, mais aussi que s’exalta l’imagination de Chateaubriand. La nature bretonne joue son rôle dans la formation du jeune esprit. Des pages splendides décrivent le printemps, la grande variété des arbres. Et là de faire référence à Mme de Sévigné « qui vantait de son temps ces vieux ombrages ; depuis cette époque, 140 années avaient été ajoutées à cette beauté ».

Il faut dire que sa mère avait été nourrie des lectures de Mme de Sévigné qui aux côtés de Fénelon et de Racine constituaient les références culturelles de la famille. Pour ne pas encore quitter la nature, des lignes superbes sont consacrées à l’automne « …ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s’affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie ont des rapports secrets avec nos destinées ». C’est bien sûr un homme de 50 ans qui écrit ces lignes, fort de l’expérience de la vie, un homme qui traversa la tourmente révolutionnaire, vit l’exécution de nombreux proches, connut l’exil, se heurta à Napoléon, appela la Restauration de tous ses vœux. Il fut ministre, ambassadeur à Rome, à Berlin… Très jeune, il voyagea en Amérique (1791), il accomplit un périple en Orient en 1806-1807 (L’Itinéraire de Paris à Jérusalem). Il mène en parallèle une carrière politique et une carrière littéraire, l’une se nourrissant de l’autre.

img7

Le bureau de Renan

Ce génie de la littérature est pétri de contradictions. Il nous avait bien averti : « Je suis le dernier témoin des meurs féodales. J’ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l’aristocratie dont la dernière heure a sonné ».

C’est ce fondamental amour de la liberté qui lui fait proclamer en 1831 : « Je suis républicain par nature, monarchiste par raison … »

Cet homme connut des passions, nous ne pouvons ici en dresser la liste, mais du moins pouvons-nous garder l’image de cette délicieuse Pauline Récamier avec laquelle il décida de vieillir. Ils s’éteignent tous les deux en 1848. Chateaubriand à 80 ans. Il laisse une œuvre immense, multiforme et pour ne citer que les plus connus ou les plus importants de ses ouvrages : Atala, René, Le Génie du Christianisme, Les Martyrs, L’Itinéraire de Paris à Jérusalem et, bien entendu, Les Mémoires d’outre-tombe, qu’il écrivit à partir de 1809 par étapes jusque en 1832. Les pages qui nous inspirent pour cette visite de Combourg sont de 1811 à 1817.

En 1817, il habite le château de Montboissier en région parisienne et il est ramené à ses souvenirs de jeunesse par le chant d’un oiseau : « Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. À l’instant ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel …transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. ».

C’est avec ces lignes proustiennes que nous allons quitter Combourg, non sans vous inviter à nouveau avec insistance à vous laisser aller à parcourir ce lieu magique et fantastique que Chateaubriand nous évoque dans les trois premiers livres de ses Mémoires, un double parcours donc dans les lieux et dans l’œuvre.

3. Renan à Tréguier

img8

Le lit de naissance de Renan

Sur la côte nord de la Bretagne, à l’ouest de Saint-Malo, à l’ouest même de Paimpol, se niche au fond d’un estuaire la vieille cité épiscopale de Tréguier. Ernest Renan y naquit en 1823 à l’ombre d’une très belle cathédrale bretonne qui abrite le tombeau de Saint-Yves, patron des avocats.

À 60 ans Renan évoque sa ville natale ainsi : « J’aspirais à revenir à ma vieille ville sombre, écrasée par sa cathédrale mais où l’on sentait vivre une forte protestation contre ce qui est plat et banal ». Omniprésence de la cathédrale, mort tragique du père, extrême piété de la mère, tout cela destine le petit Ernest au sacerdoce. Il suit le petit séminaire où les programmes sont rétrogrades, les cours d’histoire ignorent la Révolution française et la période Napoléonienne, les cours de français ignorent Chateaubriand et Lamartine, auteurs jugés dangereux. Après le petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, il suit des études au grand séminaire de Saint-Sulpice. Sa voie est toute tracée, comme il l’exprime lui même : « J’étais né prêtre. À quoi bon si bien apprendre le latin, sinon pour l’Église ? ». Mais c’était sans compter avec le doute qui s’empara du jeune homme en 1845, à 22 ans justement. Il suit alors des cours de théologie mais aussi de philosophie, d’allemand, d’hébreu. Il se heurte à la théologie classique et écrit à sa sœur en 1841 : « Le clergé de ce pays, quoique respectable, est circonscrit dans un cercle de vues si étroites, que je craindrais qu’un contact trop immédiat ou trop prolongé ne finit pas m’y enfermer avec eux ».

img9

Maison de Renan

Renan renonce donc à devenir prêtre. Dès lors, ses champs de recherche s’élargissent : de l’étude des langues à l’exégèse religieuse : « Je voudrais avoir dix vies à mener de front… ». Chargé d’une mission archéologique en 1860 en Asie, il explore la Palestine et en rapporte La Vie de Jésus qui fit scandale, car Renan y remet en cause la divinité du Christ : « Jésus,…un homme incomparable », lance-t-il au Collège de France où il occupe la chaire d’hébreu. En 1878, il entre à l’Académie française, fréquente Sainte-Beuve, les frères Goncourt, George Sand, Flaubert, Michelet… Il a épousé la fille du peintre Henry Schaeffer, Cornélie dont il aura trois enfants.

Tout l’a éloigné de la Bretagne et de Tréguier. Et pourtant, il y revient en 1868. Il revoit sa maison d’enfance, que nous pouvons toujours visiter aujourd’hui. Elle était occupée alors par des locataires : « Notre vieille maison de Tréguier est bien dégradée mais solide encore », écrit-il. Devenue musée depuis 1947, elle rassemble de nombreux souvenirs de famille. On y voit le lit où Ernest et sa sœur Henriette sont nés (« Mon père me conçut dans un moment d’alcoolisme »), la chambre et le petit bureau de Renan sous les toits. N’écrit-il pas ses sentiments dans Souvenirs d’enfance et de jeunesse lorsqu’il regardait par la lucarne et contemplait l’étendue des collines et des toits au loin : « Ce pays lointain, tout là-bas, je ne savais pas de quel nom le nommer. C’était l’inconnu : il me terrifiai, je n’osais pas y arrêter les yeux. »

img11

Monument à Renan

Nous visitons ces lieux, tels que Renan les retrouva en 1868. Si la maison lui évoque d’excellents souvenirs, l’accueil des Trégorrois hostiles à La Vie de Jésus est très mitigé. Le directeur du petit séminaire ne le laisse pas entrer. Il ne revoit pas ses anciens maîtres. Il couche à l’hôtel et s’en retourne à Paris dans son bureau du Collège de France, bureau qui fut plus tard reconstitué dans la maison de Tréguier. Il est tout de même très attaché à sa Bretagne natale : il parle le breton, participe à des banquets celtiques à Paris où on évoque le pays en mangeant des crêpes, buvant du cidre, chantant des airs populaires au son du biniou..

Mais ce n’est qu’en 1884, alors que Renant est déjà administrateur au Collège de France, qu’il fait son second retour à Tréguier. L’accueil est excellent cette fois-ci. Un banquet est organisé en son honneur. Il va, à partir de ce moment-là, louer une maison à Prosmapamon, à 20 km de Tréguier où la famille va passer tous ses étés jusqu’à la mort de Renan en 1892. Il y a une sorte de réconciliation de la part de Renan avec sa terre natale. L’immense succès de Souvenirs d’enfance et de jeunesse l’atteste. Il y chante les vertus bretonnes. Ce petit ouvrage peut donc nous servir de guide à la visite de Tréguier. La cathédrale y est superbement décrite, il nous entraîne à errer dans les ruelles, le long de maisons à pan de bois : rue Colvestre, rue Kercoz, rue Saint-Yves, rue des Ursulines. Et de nous affirmer qu’un « air général de distinction perce partout et donne à cette pauvre ville morte un charme que n’ont pas les villes de bourgeoisie plus vivantes et plus riches qui se sont développées dans le reste du pays ».

img10

Rue de Treguier

Nous ne quittons pas Tréguier sans nous arrêter devant la statue de Renan inaugurée en 1903 en pleine « guerre » de séparation de l’Église et de l’État. Une salle de la maison-musée relate cette inauguration houleuse à partir de photos et d’extraits du Petit Journal. Cléricaux et anticléricaux se sont violemment affrontés. Les contradictions de Renan sont toujours vives.

Celui qui tenta de concilier patriotisme et religiosité, science et poésie, qui approfondit Les Origines du Christianisme et écrivit une monumentale Histoire des peuples d’Israël a laissé des traces profondes dans son pays.

TopList