Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №8/2009

Les Routes de l’Histoire

Alla CHEÏNINA

La Révolution française, est-ce « la faute à Voltaire » ?

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La Révolution française est toujours de l’actualité. Toute réflexion en profondeur sur la politique nous y ramène. Sans doute n’est-elle pas unique et les historiens la situent dans le contexte du grand bouleversement qui, de l’Amérique à Grande-Bretagne, ébranle le monde. Mais elle reste un des plus grands événements de l’histoire contemporaine. Elle nous fascine à la fois par ses lumières et par ses ombres. Sa face glorieuse : l’avènement de la Liberté et la promesse de l’Egalité entre les hommes. Sa face ténébreuse : la Terreur, le Tribunal révolutionnaire qui dessinent le schéma des futurs régimes totalitaires. La machine lancée, on ne la contrôle plus. Les députés de l’Assemblée Constituante voulaient fonder une monarchie constitutionnelle ; leurs successeurs de l’Assemblée Législative ont proclamé la République. Les révolutionnaires déclaraient la paix au monde ; ils se sont perdus dans une guerre sans fin. Les libérateurs ont rempli les prisons et les guillotineurs1 ont fini sous la guillotine. De ces épisodes, tantôt sublimes, tantôt ignobles, il est résulté un interminable conflit des interprétations tout au long du XI siècle et jusqu’à nos jours. Nous nous sommes permis, nous aussi à raconter les principaux épisodes de ces années brûlantes, tout en sachant que l’Ancien Régime2 intellectuel n’a pas pris fin en 1789 mais tout au long du XVIIIe siècle. Dans les trente-cinq années qui précèdent la mort de Louis XVI, on assiste à un basculement sans précédent par sa radicalité et sa rapidité de toutes nos manières de penser. Tout à coup, la hiérarchie, la discipline, l’ordre, l’autorité, les dogmes s’effacent devant des valeurs nouvelles qui se nomment science, raison, liberté de conscience. Mais pourquoi donc ? Qu’est-ce qui s’est passé au XVIII siècle, le siècle des Lumières3 ? Pourquoi la Révolution, inspirée des philosophes (Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot), écrivains (Beaumarchais), savants (d’Alembert), a-t-elle rapidement sombré dans la Terreur, les guerres de conquête, puis l’impérialisme napoléonien ? Essayons donc de le comprendre.

Le XVIIIe siècle – le siècle des Lumières

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Un élan quasi irrésistible pénètre toutes les couches de la société française, les captive, les agite : c’est le mouvement des idées. Jamais un peuple entier n’avait montré autant de volonté à savoir, à connaître. Les Lumières, c’est donc ce mouvement de philosophie qui semble mettre en doute ou nier toutes les institutions traditionnelles, politiques ou religieuses, et qui veut croire en la Raison et au Progrès. La diffusion des idées nouvelles se fait dans « les salons philosophiques », tenus par des femmes d’esprit qui invitent à leurs dîners artistes et gens de lettres : Montesquieu, d’Alembert, Diderot, Rousseau. Sur tous les thèmes, la conversation est brillante, légère. On aborde la littérature, les beaux-arts, comme la science ou la politique. « On y parle de tout pour que chacun ait quelque chose à dire ; on n’approfondit point les questions, de peur d’ennuyer ; on les propose comme en passant ; on les traite avec rapidité ; la rapidité mène à l’élégance », note Jean-Jacques Rousseau. Mais on discute aussi dans les cafés, qui existent depuis la fin du XVIIe siècle. L’on vient y déguster la nouvelle boisson, rapportée des colonies d’outre-mer, le chocolat chaud, et débattre des idées du temps. À Paris, c’est le Procope qui est le préféré. Et puis on lit et la publication de nombreux ouvrages de vulgarisation compte beaucoup. Le public est de plus en plus large. C’est vers 1750 que paraissent ces grands ouvrages que sont L’Esprit des lois, de Montesquieu, le premier volume de l’Histoire naturelle de Buffon et surtout le premier volume de l’Encyclopédie. Le parti des philosophes est né. La lutte a commencé contre tout ce que peut représenter l’Ancien Régime, « institutions, idées et croyances. » Curiosité et envie de savoir semblent être les mots clés de ce siècle : « Il faut tout examiner, sans exception », affirme d’Alembert, dans la préface de l’Encyclopédie. Une déclaration révolutionnaire, n’est pas ? Tout examiner, mais ça veut dire utiliser votre raison, développer votre esprit critique, réfléchir avant de croire, renoncer à laisser un autre dicter vos opinions et guider vos actes, oser être sceptique en religion, remettre en cause les traditions politiques… Enfin bref, penser librement ! Bien sûr, pour raisonner, il faut en être capable, il faut l’apprendre. Mais comment ? C’est Jean-Jacques Rousseau qui, dans sa passion pédagogique, répond à cette question dans son Emile. Selon lui, si l’homme peut se perfectionner lui-même, il peut aussi changer la face du monde. Pourtant, ce n’est pas si simple que ça. Pour y parvenir, il vous faudra du courage ! Oui, le simple fait de penser par soi-même, au XVIIIe siècle comme au XXIe, exige du courage. Faire « resplendir les lumières de la raison » peut vous attirer une disgrâce4 ou une lettre de cachet5. Mais en quoi la liberté de nos pensées peut-elle déranger nos voisins, nos contemporains, nos gouvernants ? La réponse est dans Montesquieu : « Tout homme qui est censé avoir l’âme libre doit être gouverné par lui-même. » Mais c’est là le plus grand danger. Si tout le monde commençait à être gouverné par lui-même ? À quoi ça pourrait amener ? À une révolte ? Pire, à une révolution ? Non, surtout pas. C’est ainsi que la pensée libre devient une menace pour ceux qui ont le pouvoir. Penser par soi-même, cela conduit à remettre en question les mythes sacrés, par exemple la nature divine du pouvoir royal6, la puissance de l’Eglise, la légitimité des privilèges de la noblesse, la division de la société en trois ordres fixes : le clergé, la noblesse et le tiers état7. « L’homme est né libre », proclame Rousseau. « Mais partout il est dans les fers. » A-t-il raison ? Se trompe-t-il ? ! C’est toujours lui qui prédit en 1762 : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions [...]. Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l’Europe aient encore longtemps à durer. » Il est vrai que Rousseau avait abandonné ses propres enfants pour verser des larmes sur le destin des enfants des autres, que Voltaire touchait des dividendes de la traite8 des Noirs, mais comment oublier qu’il a risqué plusieurs fois l’exil9 pour expression de ses pensées et a été sincèrement féministe ? Quant à Beaumarchais, il prend tous les risques en prêtant sa plume à l’insolent Figaro dans le fameux Mariage de Figaro : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! Noblesse, fortune, un rang, des places; tout cela vous rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître... » Montesquieu est juriste, d’Alembert mathématicien, Voltaire touche à tout… mais ces « philosophes » s’emploient à critiquer les valeurs traditionnelles en les soumettant à la raison et aux progrès scientifiques. Groupés autour de l’Encyclopédie qui paraît de 1751 à 1765, ils semblent croire qu’ils vont mener l’opinion et, par elle, gouverner le monde. Cela ne veut pas dire qu’ils sont toujours d’accord entre eux. Bien au contraire : Voltaire et Rousseau se détestent… Mais dans le combat, ils forment un parti puissant et bien organisé : ils occupent presque tous les fauteuils de l’Académie française, gouvernent le théâtre, dominent les éditeurs. Ils sont amis avec les ministres, la haute noblesse qui commence à se sentir honteuse de ses privilèges. L’esprit des Lumières aspire à s’incarner dans l’histoire, dans la merveilleuse lumière d’une société parfaite. Il ne voit pas les dangers, il ne voit pas les ombres, il ne voit pas l’envers du décor. Quoi qu’il en soit, au XVIIIe siècle, dans toute l’Europe, chez les « despotes éclairés », Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie, les foyers d’intelligence se multiplient, l’art de la conversation et celui du journal intime et de la correspondance se développent. Lumières de la fête, lumières de l’art, lumières de la science, sans oublier le puissant éclat de la République romaine10, à la mode dès années 1750 et qui sera l’inspiratrice des fêtes révolutionnaires. On est d’accord donc avec d’Alembert qui affirme : « L’opinion gouverne le monde et les philosophes gouvernent l’opinion ». Cette affirmation, est-elle de l’actualité aujourd’hui ? Une bonne question…. Mais à l’époque, les philosophes gouvernaient l’opinion. Sans aucun doute. Et cependant… Malgré ces nouveautés, la monarchie régnait encore, l’ordre ancien n’était pas détruit, les privilèges n’étaient pas encore abolis, le système des castes hérité de la féodalité n’a pas bougé, et chacun restait à sa place, selon un ordre ancestral11 qui devait sembler éternel à tous. Mais l’invention de la Liberté va de pair avec la dégradation des conditions économiques et sociales. Mangée petit à petit de l’intérieur, la royauté se renversait, le navire prenait l’eau. « Légèrement » ou pas trop, des choses graves ont été dites par les philosophes. Dites et bien entendues et comprises. Mais comment ? Ainsi, Maximilien Robespierre qui deviendra le « tyran de la Révolution », ne se réclamait –il pas de Rousseau, et de sa notion de « volonté générale » pour obliger les individus à embrasser une « liberté » qui n’avait rien à voir avec celle des Encyclopédistes ? Et Rousseau, a-t-il jamais imaginé quelque chose de semblable à la Terreur ? Enfin, bref, la Révolution française, est-ce la faute à Voltaire et à Rousseau, comme le chantait le petit Gavroche12 dans sa célèbre chanson en 1832 ?

La chanson de Gavroche

Né en 1820, il est le fils des Thénardier qui ne l’aiment pas, ne veulent pas de lui et c’est pour cela qu’il vit dans la rue (il a l’habitude de dire « Je rentre dans la rue » quand il sort d’une maison). Gavroche meurt le 6 juin 1832, pendant l’Insurrection républicaine à Paris en juin 1832, en tentant de récupérer des cartouches non brûlées pour ses camarades insurgés et en chantant une célèbre chanson qu’il n’a pas le temps d’achever.

On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.

Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.

Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.

Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Rousseau.

(à suivre)


1 Les responsables de condamnations à la guillotine.

2 Cette expression apparaît en 1789 et qui condamne un système politique, un système social (la noblesse et l’église perdent leurs privilèges), un système économique (ex. : les seigneuries). Les mots pour qualifier l’Ancien Régime sont la barbarie, l’esclavage, le despotisme. On oppose souvent des termes comme nuit/jour et esclavage/liberté. On développe un discours de rupture totale avec le passé mais dans les faits les choses sont beaucoup plus complexes.

3 La Lumière (fig.) – ce qui éclaire, illumine l’esprit. Homme de grande intelligence, de grande valeur. Les Lumières– la capacité intellectuelle naturelle, l’intelligence ; ou les connaissances acquises, le savoir.

4 La perte de la faveur, des bonnes grâces de la personne dont on dépend ; du roi, par exemple.

5 La lettre au cachet du roi, contenant un ordre d’emprisonnement ou d’exil sans jugement.

6 Le droit de gouverner, de régner, donné par Dieu.

7 Les hommes d’églises, les aristocrates et ceux qui ne sont pas nobles (bourgeois, artisans, paysans, médecins, avocats).

8 Il faisait venir des esclaves Noirs.

9 L’expulsion de qqn. hors de sa patrie, avec défense d’y rentrer.

10 Une phase de la civilisation de la Rome antique qui commence en 509 av. J.-C., à la chute de la Monarchie. On estime que la République romaine prend fin entre 44 av. J.-C., avec l’assassinat de Jules César, et 27 av. J.-C., au moment où Octave reçoit le titre d’Auguste.

11 Qu’on tient des ancêtres.

12 Personnage du roman de V. Hugo Les Misérables.

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