Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2009

Arts et culture

Un an avant la mort

« Je n’ai pas de regrets. Et pas tellement
de remords non plus d’ailleurs ! »

Françoise SAGAN

L’œuvre de Françoise Sagan ne se compose pas seulement de romans, de pièces de théâtre ou de nouvelles, mais aussi d’interviews passionnantes.

« Il y a un style Sagan de l’interview : élégant, narquois, allègre. Ses répliques sont justes, elles sont lucides, sincères, elles pétillent de poésie. Jamais elle ne moralise : elle a trop de respect d’autrui et d’élégance. 1 »

Sa dernière interview à Alain Louyot,
journaliste de L’Express (2003)

img1Cette mission délicate de rencontrer Françoise Sagan m’avait été confiée par mon confrère et ami Yves Stavridès, chargé de la réalisation du numéro spécial du cinquantenaire de L’Express. Il souhaitait que je puisse interroger le « charmant petit monstre » dont parlait Mauriac, à propos d’un remarquable reportage que la jeune gloire de la littérature française de l’époque avait effectué, en 1960 pour notre journal. Après de nombreuses démarches de ma part, elle avait fini par me suggérer de me rendre le 21 mars 2003 à Honfleur et de la recontacter lorsque je serais arrivé là-bas. Ce que je m’empressai de faire. En vain. Une fois encore, elle m’expliqua au téléphone qu’elle était trop fatiguée, qu’il valait mieux essayer un autre jour... Je la rappelai en lui précisant que je me trouvais cette fois devant chez elle, garé le long des barrières blanches de la propriété.

img2« Je viens vous ouvrir ». J’aperçus alors une petite femme blonde aux cheveux courts assise dans un fauteuil roulant sur le seuil de sa porte. Je reconnus immédiatement son regard, identique à celui des photos que j’avais vues d’elle alors que ses premiers romans faisaient scandale dans la France. Providence des journalistes, la chance avait pour moi ce jour-là le visage de Sagan qui me souriait. Après m’avoir expliqué qu’elle se méfiait de ma corporation, car elle avait connu trop de paparazzi et ne fréquentait que quelques très rares amis journalistes, elle commença à égrener 2ses souvenirs de reporter pour L’Express, alors qu’elle n’avait que 25 ans : « J’étais un peu fofolle à l’époque, je pensais surtout à danser, à me baigner, bref à faire la fête ! ». Bientôt détendue, elle allait, à mon grand bonheur, se prêter, une quarantaine d’années plus tard, à un long et amical entretien. En voici quelques extraits.

– Pour vous, Françoise Sagan, qu’est-ce qu’une vie réussie ?

– En ce qui me concerne, je ne dirais pas que j’ai réussi ma vie... Mais j’ai réussi à faire ce qui me plaisait : vivre en écrivant. Evidemment, je n’ai pas réussi à écrire un livre du niveau d’A la recherche du temps perdu 3. J’ai même piqué mon nom (Sagan) à Proust ! (Rire.)

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– N’empêche qu’à l’instar de Proust, vous avez connu de votre vivant une certaine gloire littéraire...

– C’est vrai. Et, grâce à la télévision, qui n’existait pas à son époque, j’ai même été peut-être encore plus connue de mes contemporains qu’il n’a pu l’être ! (Rire). Ainsi, quand je parle à la télévision dans le cadre d’une émission littéraire, ce qui m’arrive heureusement rarement, je dis toujours ce que je pense et je sais que les gens me croient. C’est très agréable comme sensation.

– Lorsqu’on a une vingtaine d’années, n’est-ce pas perturbant de devenir tout à coup aussi célèbre ?

– J’ai eu la chance d’avoir été élevée dans une famille où l’humour était la règle, la morale. Cela ne se faisait pas de trop parler de soi et je n’étais donc pas entourée de trop d’admiration à la maison. Et puis je crois qu’il vaut mieux connaître le succès quand on est jeune.

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– Le bonheur est-il simple ?

– Oui, en ce sens qu’il n’y a pas besoin de beaucoup pour être heureux. Déclarer que la santé, c’est le plus important, cela fait un peu idiot, mais c’est vrai. Ce qui compte surtout, c’est d’être d’accord dans la vie.

– On dit qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Qu’en pensez-vous ?

– Je n’ai pas de regrets. Et pas tellement de remords non plus d’ailleurs ! (Rire). J’ai l’impression d’avoir eu une chance folle dans ma vie. J’ai celle d’aimer écrire, de pouvoir écrire. J’ai des facilités d’écriture, ce qui tombe bien car je suis paresseuse. Quand j’ai mon sujet qui trotte dans ma tête, je peux écrire douze heures de suite. Et puis quand c’est fini, je suis triste, je me sens orpheline. Mais je ne peux écrire que lorsque je suis heureuse, bien dans ma peau.

Bonjour tristesse est un roman qui a beaucoup choqué à l’époque...

– En fait, j’ai été très surprise du scandale que ce livre a suscité. Pour les trois quarts des gens, le scandale de ce roman, c’était qu’une jeune femme puisse coucher avec un homme sans devoir se marier. Pour moi, le scandale dans cette histoire, c’était qu’un personnage puisse amener par inconscience, par égoïsme, quelqu’un à se tuer. Pour nombre de lecteurs, ce n’était pas cela qui était le plus choquant...

– Pourrez-vous dire que vous vous êtes bien amusée sur cette planète ? (Rire.) Oh ! oui, beaucoup ! Et puis il y a eu des moments où je m’y suis vraiment plû. Sept ou huit moments où j’ai brusquement compris pourquoi j’étais là, ce que je faisais là. Bien sûr, j’ai souvent été heureuse, mais je parle de ces moments rares où il y avait une adéquation totale entre cette Terre et moi. Cette impression ne dure pas longtemps, un quart d’heure peut-être... Je sais que ces précieux moments ont été là, mais je les revois confusément. (Silence.)



1 Marie-Dominique Lelièvre, Sagan à toute allure.

2 Présenter un à un de façon détachée.

3 Le roman de Marcel Proust.

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