Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №1/2010

Les Routes de l’Histoire

Alla CHEÏNINA

Louis XVI est « suspendu »

(Suite. Voir N°8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 21, 23, 24/2009)

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Alfred ELMORE, Arrestation de la famille
royale à Varennes

À Paris, l’été 1791 est bien agité. Alors que les monarchistes et les républicains s’affrontent, les membres de l’Assemblée nationale terminent le texte de cette Constitution qu’ils ont juré d’élaborer, le 20 juin 1789. La fuite de la famille royale à Varennes choque profondément les députés, plonge l’Assemblée qui reste profondément monarchiste, dans l’embarras et porte un coup mortel à la royauté. Le 22 juin 1791, alors qu’on ignore encore à Paris l’arrestation du Roi à Varennes, le club des Cordeliers envoie une adresse aux députés de l’Assemblée dans laquelle on peut lire : « Nous vous conjurons, au nom de la patrie ou de déclarer que la France n’est plus une monarchie, qu’elle est une république, ou du moins d’attendre que tous les départements, toutes les assemblées aient émis leur vœu sur cette question. ». Ce mouvement en faveur de la république continue à prendre de l’ampleur. L'Assemblée refuse pourtant d’établir la république, synonyme d’anarchie ou, au mieux, de dangereuse utopie. C’est pourquoi, le 25 juin 1791, tandis que Louis XVI et la famille royale sont ramenés aux Tuileries, les députés évoquent, contre toute vraisemblance, l’enlèvement du Roi. Ils décident pourtant, pour calmer l’opinion publique, que les décrets de l’Assemblée seront exécutés sans avoir besoin de la sanction royale. En d’autres termes, Louis XVI est « suspendu »... jusqu’au moment où la nouvelle Constitution lui sera présentée.

Louis, chaque jour depuis son retour aux Tuileries, entend les Parisiens hurler des injures derrière les grilles de la place Louis XV, rebaptisée en place de la Révolution (aujourd’hui, place de la Concorde). La foule enragée menace de tuer « le roi-traître » et son « Autrichienne ». « Plus de monarchie ! Plus de tyrans ! », crie-t-on.

Tout le monde pense à un régent, qui serait Philippe d’Orléans, cousin du Roi et qui se dit patriote. Tout va dépendre de l’Assemblée : osera-t-elle se prononcer contre la déchéance du Roi ? Mettra-t-elle fin à la suspension de Louis dès lors qu’il approuvera la Constitution ?

Le 12 juillet 1791.
Voltaire entre au Panthéon

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Le tombeau de Voltaire

Voltaire, le grand philosophe français, s’est éteint le 30 mai 1778 et, depuis lors, reposait dans la chapelle de Scellières, à quelques lieues de Troyes. Après bien des péripéties et pétitions de l’Assemblée, où ennemis de Voltaire et partisans de Rousseau2 font traîner les choses, le 30 mai 1791, les députés décrètent que « ses cendres seront transférées dans l’église de Sainte-Geneviève à Paris3. » La cérémonie va constituer un spectacle inoubliable, dont les journaux rendront compte le lendemain dans les moindres détails. Les plus grands artistes révolutionnaires sont sollicités : le peintre David met les célébrations en scène, le poète Chénier donne un hymne, le compositeur Gossec écrit la musique. Le cercueil de Voltaire arrive à Paris le 10 juin 1791 au soir. Le 11 juillet 1791, dans un Paris, que la fuite du Roi a mis en émoi, un long cortège, parti de la Bastille, se dirige vers le Panthéon. Les inscriptions gravées sur le catafalque du philosophe sont éloquentes : « Il combattit les athées et les fanatiques… Il inspira la tolérance, il réclama les droits de l’homme… Poète, historien, philosophe, il agrandit l’esprit humain. » Le cortège rejoint d’abord l’emplacement de la Bastille, où Voltaire a été incarcéré. Sur les ruines de la forteresse tombée le 14 juillet 1789, on peut lire : « Reçois en ce lieu où t’enchaîna le despotisme, Voltaire, les honneurs que te rend la Patrie. » Le lendemain, une longue procession se met en marche précédée de tambours et des canonniers. Suivent les enfants, des collégiens, les vainqueurs de la Bastille, dont une femme à cheval en uniforme de la Garde nationale défilant avec une maquette de prison, des portraits de Voltaire, de Rousseau, de Mirabeau. Députations des théâtres, gens de lettres et académiciens précèdent une statue du philosophe, dorée et la tête ceinte de laurier, portée par des élèves des Beaux-Arts vêtus à l’antique. Penchée au-dessus du corps renversé sur le sarcophage « dans l'attitude du sommeil », la statue de l'immortalité tend sa couronne d'étoiles. Déposé dans un sarcophage, le cercueil du philosophe trône sur un char tiré par douze chevaux blancs et précédé d’une fanfare. Sur le quai récemment rebaptisé quai Voltaire, le char s’arrête sous un arc de verdure d’où descend une couronne de roses. Enfin, toujours sous les vivats de la foule, le cortège rejoint le Panthéon. Voltaire y repose toujours.4

17 juillet 1791. Le massacre du Champ-de-Mars

Dès le 21 juin, le club des Cordeliers, fondé par Danton, a demandé à l’Assemblée de proclamer la République, en ces termes : « Nous voilà enfin libres et sans roi ». Ils recueillent plus de six mille signatures. Ils appellent ceux qui ne l’ont pas encore signé à venir la signer le 17 juillet 1791, au Champ-de-Mars.

Dans tous les clubs de Paris, l’agitation monte. Tension au club des Jacobins. Leur chef, Maximilien Robespierre refuse de signer la pétition et met en garde contre les dangers de cette pétition illégale. Mais il dit aussi : « Je suis prêt à mourir pour le salut du peuple sensible et généreux. » Une partie des Jacobins soutiennent la pétition. Les modérés répliquent en votant un décret assurant l’inviolabilité du Roi. Les partis des patriotes se déchirent.

Le 14 juillet 1791, redoutant des émeutes, la municipalité parisienne refuse aux sociétés populaires le droit de se rassembler. Malgré cette interdiction, le 17 juillet, des milliers de manifestants, invités à signer la pétition contre « le roi-traître », se rassemblent au Champ-de-Mars. On devait se réunir place de la Bastille et se rendre en cortège au Champ-de-Mars. Mais les gardes nationaux sont là, qui empêchent le rassemblement. Les bataillons de la garde nationale sont sous les armes, avec leurs drapeaux rouges. Mais les milliers de manifestants, parmi lesquels de nombreuses femmes avec enfants, se retrouvent malgré tout au Champ-de-Mars et n’imaginent pas qu’on pourra tirer sur eux, même quand ils voient arriver ces soldats armés.

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PRIEUR, La Fusillade du Champ-de-Mars
le 17 juillet 1791

La foule exige que Louis XVI soit jugé et puni. On crie, on se dispute, on se tue. Quelqu’un crie qu’il y a des espions et des provocateurs parmi les citoyens. Alors on frappe tous les suspects, on les pend, on leur tranche les cous et plante leurs têtes au bout des piques. Le général La Fayette ordonne la dispersion de la manifestation. Mais la foule se déchaîne de plus en plus. Devant l’agressivité d’une foule qu’on n’arrive plus contenir, les soldats tirent une première salve en l’air. Aucun effet. Alors, les soldats de la Garde nationale s’avancent armés de baïonnettes. La foule hostile ne bouge pas. Pour disperser les manifestants et rétablir l’ordre, les soldats reçoivent l’ordre d’ouvrir le feu. Des dizaines de manifestants tombent. On se met à courir, mais les gardes nationaux poursuivent les fuyards : une centaine de manifestants, parmi lesquels on compte bon nombre d’enfants et de femmes, sont tués et jetés dans la Seine toute proche.

Le « massacre du Champ-de-Mars » creuse un fossé de sang entre les modérés et les révolutionnaires purs et durs, entre les républicains et les monarchistes : entre ceux qui ont fait tirer sur la foule, partisans du maintien du Roi et le peuple, guidé par les députés « avancés », Danton et Marat, auteurs de la pétition. Dès le lendemain, de nombreuses arrestations sont effectuées, des journaux sont interdits de parution, le club des Cordeliers est fermé. Danton se réfugie chez sa mère, puis passe en Angleterre. Desmoulins et Marat se cachent. Robespierre ne rentre plus chez lui : il est hébergé depuis par le menuisier Duplay, rue Saint-Honoré. L’Assemblée décide que tous ceux qui tenteraient de renouveler un pareil rassemblement et de faire de nouvelles pétitions contre le Roi seront condamnés aux fers. Est-ce la fin de la Révolution ? Mais point du tout !

Louis XVI ne sera plus roi de France

La fusillade du Champ-de-Mars, réponse de la Garde nationale aux manifestants qui réclament la punition du Roi et la cinquantaine de morts qu’elle cause sont encore dans toutes les têtes. Alors que les royalistes et les républicains s’affrontent, les membres de l’Assemblée nationale terminent le texte de cette Constitution. La nouvelle Constitution est votée le 3 septembre 1791. Ce jour-là, 60 députés précédés de porteurs de torches viennent à pied, depuis la salle du Manège jusqu’au palais des Tuileries pour présenter à Louis XVI la Constitution. Le 13 septembre, Louis XVI l’accepte solennellement et prête serment de fidélité à la nation. Louis XVI est rétabli dans ses pouvoirs, donc la France reste un royaume. Louis XVI ne sera plus roi de France et de Navarre, mais « roi des Français ». De tous ses pouvoirs il ne lui reste que le droit de veto5. La monarchie absolue a cessé d'exister, c’est la monarchie constitutionnelle. La tâche des députés est terminée, ils ont énoncé de grands principes : liberté (de presse, d'opinion, de conscience), égalité des citoyens, souveraineté de la nation. Ils ont réorganisé l'administration du royaume en divisant le territoire en départements. Ils peuvent donc se séparer. Le 18 septembre 1791, à l’Hôtel de Ville, la Constitution est proclamée. Les Parisiens chantent et dansent.

Les Français deviennent des « citoyens »

La Constitution de 1791 a déclaré « citoyen » tout individu né en France d’un père Français ou d’un étranger fixé en France, ou né à l’étranger de père français. À partir du 10 août 1972, on commence à substituer les appellations « citoyen » et « citoyenne » à « monsieur », « madame » ou « mademoiselle ». Le vouvoiement disparaît, tout le monde est obligé de se tutoyer. Le terme « citoyen » disparaîtra sous le Consulat, en novembre 1799, mais subsistera dans les actes officiels jusqu’à la proclamation de l’Empire, en mai 1804. L’Assemblée législative abolit les décorations et signes extérieurs de distinction de naissance. La Sorbonne est supprimée. Le port d’habits ecclésiastiques en dehors des édifices religieux est interdit.

« Sire, Votre Majesté a fini la Révolution »

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Le 30 septembre 1791, les élus de l’Assemblée constituante se séparent, persuadés que cette fois, la Révolution est terminée. Ils laissent la place à la nouvelle Assemblée, appelée Assemblée Législative. Ce jour-là, le président de la Constituante, Thouret, salue Louis XVI par ces mots : « Sire, Votre Majesté a fini la Révolution ». La Révolution est légalisée. La nation pourra retrouver l’ordre et la paix. La joie emplit les rues. Cependant, on se trompe lourdement une fois de plus. La monarchie constitutionnelle que les députés ont instaurée ne va pas durer un an.

Le 1er octobre 1791, l’Assemblée législative tient sa première séance. La majorité de ses députés estiment que la Révolution est achevée ; mais pour une minorité, les Jacobins, l’attitude du Roi et des émigrés oblige au contraire à la poursuivre pour la garantir, au besoin par la guerre. La lutte recommence.

Le droit de veto

Ce calme, ce bien-être illusoire ne dure que quelques semaines. Fin octobre 1791, partout en France le mécontentement de la population ne cesse pas. La pauvreté, la famine, la monnaie qui chaque jour perd sa valeur, qui en est coupable ? On se pose cette question et y répond : les émigrés et l’Autrichienne qui préparent le complot. Partout on désobéit, partout on pille, partout on tue. Il y a un vrai danger d’une guerre civile. Le trouble, l’incompréhension, l’hostilité saisissent les familles entières.

Louis XVI souffre énormément de cette situation dans l’église du royaume français. Il ne peut accepter de signer le décret qui déclare suspects de trahison tous les prêtres réfractaires, qui refusent toujours le serment et qui leur retire leur pension ; pire – qui les punit de deux ans de prison. Louis, touché dans sa conscience du chrétien, oppose alors son veto. Une grande épreuve pour lui, mais pas la dernière. On prépare le deuxième décret : celui-ci exigera le retour en France des émigrés (des dizaines de milliers ont quitté le royaume depuis juillet 1789), et dans un délai de deux mois, sinon ils seront poursuivis comme traîtres et punis de confiscation des bien et de peine de mort.

Les émigrés sont considérés comme ennemis du peuple

Les événements français sont suivis avec intérêt à l’étranger, avec sympathie ou joie chez les paysans et les bourgeois, avec inquiétude dans les Cours : les princes craignent la « contagion révolutionnaire ». De l’autre côté du Rhin, les royalistes émigrés commencent à se rassembler autour des deux frères de Louis XVI, compte de Provence et d’Artois6. L’empereur d’Autriche, Léopold II (le frère de Marie-Antoinette) et le roi de Prusse signent une déclaration agressive, ressentie en France comme une intervention inadmissible. Ils déclarent notamment que « la situation du Roi de France » est « objet d’intérêt commun », et que si cette situation ne s’améliore pas, les armées autrichiennes et prussiennes franchiront les frontières françaises. C’est une menace directe ! Alors, on crie en manifestant autour des Tuileries : « Vive la nation ! », « À bas l’Autrichienne ! ». Le club des Jacobins réagit vivement à cette déclaration, et son chef, Maximilien Robespierre est de plus en plus écouté. Il se rend à l’Assemblée et constate que les députés hésitent et ne sont pas tous d’accord les uns avec les autres. Plus ils sont hésitants, plus Robespierre devient implacable, lorsqu’il intervient à la tribune de l’Assemblée, sa parole est de plus en plus entendue. Par le décret du 9 novembre 1791, les émigrés qui ne seront pas rentrés en France au 1er janvier 1792 seront considérés comme suspects de conspiration et condamnés à la peine de mort. Louis met son veto à ces mesures, mais son mot, est-il entendu par l’Assemblée ? Au Palais-Royal, on accuse Louis XVI de trahison. Les journaux patriotes publient les articles de plus en plus violents. Pour ces patriotes « enragés », Louis XVI n’est plus que « Monsieur Veto ». Et Marie-Antoinette ? Oh, elle n’est pas oubliée non plus. On l’appelle « Madame Veto » et on dit qu’elle a crée un « cabinet autrichien » aux Tuileries, afin de transmettre des informations à son frère l’empereur Léopold II. Le piège autour de Louis et de Marie-Antoinette se referme.

(à suivre)



1 À qui on a interdit l’exercice de ses fonctions.

2 Il faut dire que Voltaire et Rousseau étaient considérés comme ayant inspiré la Révolution.

3 Le Panthéon.

4 En face de lui repose son ennemi de toujours, Jean-Jacques Rousseau.

5 1718 (lat.), je m’oppose. Formule par laquelle le roi avait le droit de s’opposer aux décisions de l’Assemblée.

6 Les futurs rois Louis XVIII et Charles X.

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