Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №4/2010

Les Routes de l’Histoire

Stéfan ZWEIG

Marie-Antoinette

Le manifeste qui a tué la monarchie française

(extrait)

(Suite. Voir N°8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 21, 23, 24/2009, 1, 2/2010)

Depuis qu’elle a senti passer sur son visage le souffle de la haine, Marie-Antoinette sait qu’elle et sa famille sont irrémédiablement perdues. Seule une prompte victoire des Prussiens et des Autrichiens pourrait encore les sauver. Elle ne quitte plus le palais car il y a longtemps qu’elle ne peut plus sortir dans son jardin sans entendre le peuple chanter :

« Madame Veto1 avait promis
De faire égorger tout Paris ».

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Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick (1735-1806)

Elle ne dort plus ; chaque fois qu’une cloche sonne, on redoute au château que ce ne soit le signe d’alarme de l’assaut des Tuileries. Le tourment, l’effroi, la terreur de ces jours se reflètent dans les lettres de la Reine à son ami le plus fidèle. Ce sont des cris, des appels angoissés, passionnés, à la fois confus et perçants, comme ceux d’un être traqué2 et étranglé. Hans Axel von Fersen3 reçoit ces lettres à Bruxelles ; on imagine avec quel désespoir ! Du matin au soir il lutte ­contre la lenteur, l’indécision des rois, des chefs d’armée, des ambassadeurs ; il écrit lettre sur lettre, fait démarche sur démarche, et pousse à une rapide action militaire. Mais le duc de Brunswick4 est un soldat de l’ancienne école et il prépare ses armées lentement selon l’art de la guerre. Il déclare ne pouvoir franchir la frontière avant la mi-août. Mais Fersen n’a plus le temps d’attendre jusque-là. Il faut faire immédiatement quelque chose pour sauver la Reine. Et l’ami accomplit exactement ce qui va perdre l’aimée. C’est la mesure qui doit arrêter l’assaut des Tuileries qui justement le précipite. Depuis longtemps, Marie-Antoinette demandait aux alliés de rédiger un manifeste. Son raisonnement était qu’il fallait essayer, dans ce manifeste, de séparer nettement la cause des républicains5, des Jacobins6, de celle de la Nation française, d’encourager ainsi les éléments bien-pensants et de faire peur aux « gueux7 ». Elle rêvait d’un manifeste qui serait à la fois une déclaration d’amitié au peuple français et une menace aux terroristes. Mais le malheureux Fersen, qui sait qu’il se passera encore une éternité avant que l’on puisse compter sur une aide militaire des alliés, demande que ce manifeste soit conçu dans les termes les plus durs. Il contient tout ce que la Reine voulait éviter. L’Assemblée nationale y est accusée de s’être injustement emparée du pouvoir, les soldats français y sont invités à se soumettre immédiatement au Roi, leur souverain légitime, et la ville de Paris est menacée, au cas où les Tuileries seraient prises d’assaut, d’une « vengeance exemplaire et à jamais mémorable », d’exécutions militaires et de destruction totale.

Le résultat de cette menace est terrible. Même ceux qui jusqu’ici ont été des défenseurs du Roi deviennent subitement des républicains. Cette absurde menace sortie de la main de Fersen, de la main de l’ami, est une bombe qui fait exploser la colère de vingt millions d’hommes.

25 juillet 1792. Paris sera-t-il détruit ?

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Cas du manifeste du Duc de Brunswick. Caricature anonyme de 1792. Quatre personnages représentant les nations étrangères montrent leur hostilité au manifeste de Brunswick. La Renommée plane dans le ciel en tenant une pancarte portant les mots République Française.

Le 25 juillet, duc de Brunswick, commandant en chef des armées autrichienne et prussienne, lance son fameux manifeste adressé au peuple de Paris qui menace « d’une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire s’il est fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés, le Roi et la Reine. »9

Destiné à intimider les Parisiens, ce manifeste met au contraire le feu aux poudres. Le Manifeste est naturellement très mal accueilli par l’Assemblée et par le peuple. Son ton agressif et provoquant va raviver une ardeur patriotique des révolutionnaires. Les Parisiens se jettent dans la rue pour protester. Partout on s’arme des piques, des couteaux et des fusils ; l’on crie qu’il faut en finir avec les rois. Dans les tribunes de l’Assemblée on crie : « À bas l’Autrichienne ! À bas Monsieur Veto ! Vive la République ! Aux armes, citoyens ! » Le tocsin10 commence à sonner et ne s’arrête que le 10 août, vers 4 heures du matin. Mais le lourd silence qui succède aux volées de cloches paraît plus angoissant encore… Tout Paris semble marcher sur les Tuileries. Et si les hostilités ne commencent pas tout de suite, c’est parce qu’on attend encore les six cents républicains de Marseille. Le 6 août ils arrivent, ces hommes bronzés par le soleil du Midi, ils marchent au rythme d’un nouveau chant, La Marseillaise, l’hymne de la Révolution, créé un jour par un officier tout à fait inconnu.

Comment est née La Marseillaise

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Rouget de Lisle chantant La Marseillaise dans le salon du maire Dietrich à Strasbourg.

Une fois la guerre déclarée, aussitôt, dans tout le pays, les volontaires s’engagent pour combattre l’ennemi. Le 24 avril, à Strasbourg, où l’armée du Rhin est cantonnée à deux pas du camp adverse, le maire Frédéric de Dietrich11 et l’ami de La Fayette, au cours d'un dîner en l'honneur des officiers de la garnison de Strasbourg, demande à un jeune capitaine du génie, violoniste et poète, Rouget de Lisle (1760-1836), d’écrire un chant patriotique destiné à encourager les troupes montant au front. Rouget de Lisle se met aussitôt au travail. Dans la nuit du 24 au 25 avril, il compose la musique et écrit les paroles. Son bataillon se nommant « Les enfants de la patrie », les premiers mots lui viennent naturellement : « Allons, enfants de la patrie ». Le lendemain, il joue sa composition au clavecin chez le maire de Strasbourg, devant une petite assemblée de dix personnes. Selon certaines sources, il l'aurait chantée lui-même, accompagné au piano par sa femme, car il était fort bon musicien. On invente le titre : Chant de guerre pour l’armée du Rhin, en honneur du maréchal Luckner, commandant de l’armée du Rhin. Le 29, la création de Rouget de Lisle est jouée pour la première fois en public, par la Garde nationale, sur la place d’armes de Strasbourg. Elle est ensuite imprimée et diffusée dans toute la France sans que soit mentionné le nom de son auteur. À l’origine, La Marseillaise comptait huit couplets.

L’hymne de la République

En septembre 1792, le département de la Guerre fait imprimer La Marseillaise sous le titre de Marche des Marseillais. Le 28 septembre, la Convention décrète que l’hymne des Marseillais sera chanté dans toute la République pour célébrer les triomphes de la liberté. Enfin, le 14 juillet 1795, le chant devient hymne national. Il sera interdit sous la restauration et l’Empire, avant de redevenir chant national en février 1879. De nos jours, seuls trois des huit couplets sont chantés : le premier, le sixième et le septième.

Allons enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L’étendard sanglant est levé, (bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils et vos compagnes !

img4Refrain :
Aux armes, citoyens,
Formez vos bataillons,
Marchons, marchons !
Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons !

Amour sacré de la Patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.

(La publication est préparée par Alla CHEINÏNA)



1 Veto – 1718 (lat.), « je m’oppose ». Formule par laquelle le roi avait le droit de s’opposer aux décisions de l’Assemblée.

2 Poursuivi (se dit souvent du gibier d’un bois).

3 Hans Axel von Fersen (1755-1810), comte suédois, est célèbre surtout pour sa profonde amitié avec la reine de France Marie-Antoinette.

4 Chef des armées autrichienne et prussienne.

5 Partisans de la République et ennemis de la monarchie constitutionnelle.

6 La société des amis de la Constitution a été créée à Paris en novembre 1789. Elle se réunit au couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré. Son recrutement, d’abord parlementaire, s’ouvre bientôt à un nombre toujours accru de membres extérieurs, et noue des relations avec de nombreuses sociétés de province, ses filiales : plus d’un millier en 1791, le double en 1793. Se voulant à l’origine auxiliaire de l’Assemblée nationale, le club ne tarde pas à devenir un contre-pouvoir. C’est l’assemblée du peuple, où se conquiert la légitimité, où se règle les conflits de pouvoir. Tous ceux qui ont exercé successivement le pouvoir, de Mirabeau à Robespierre, ont pris leur essor aux Jacobins.

7 Clochards, vagabonds, va-nu-pieds.

8 Le plus vite possible.

9 On ne sait si le duc a réellement signé le manifeste ou bien il aurait été rédigé, en fait, à la demande de Marie-Antoinette, par un émigré, cela dans le but d'impressionner les Révolutionnaires.

10 Sonnerie de cloche répétée et prolongée, pour donner l’alarme.

11 Il sera guillotiné le 29 décembre 1793.

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