Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №9/2010

Je vous salue, ma France

Lialia KISSELEVA

La culture des cafés parisiens

On peut être reconnaissants aux Français pour plusieurs inventions : haute-couture, parfum, cuisine... Mais il y a encore une facette de la culture française, encore une invention purement française et même plutôt parisienne : cafés et restaurants. Dans n’importe quel autre pays c’est impensable qu’un endroit où l’on arrive pour les repas soit élevé au rang du centre de la pensée et de la culture. Mais en France la procédure des repas est considérée comme une occasion de faire travailler tous ses sens, d’analyser ses impressions et sensations, de faire des comparaisons et de partager tout cela à son convivial. Puisque le repas est un rituel, une opportunité de communication. On ne peut pas compter tous les mots de la langue française désignant des restaurations de types différents : taverne, auberge, cabaret, bouchon, caboulot, assommoir, gargote, buvette, boui-boui, tabagie, bougnat, brasserie, rade, drugstore, cafétéria... et j’en passe.

Les tavernes

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Crieur de vins
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Il faut commencer l’histoire des cafés par l’époque de la Gaule romaine. On connaissait à cette époque-là des tavernes. Il paraît que les tavernes romaines étaient prévues pour le peuple et pas pour les nobles qui organisaient des festins à leurs domiciles et évitaient de pénétrer dans les tavernes. Les traces des premières tavernes de Lutèce ont été retrouvés sur la rive Gauche de la Seine. On suppose que c’était de petites pièces avec une grande table, où le tavernier servait du vin (qui a été apporté dans la Gaule par les marins phocéens mais dont la culture s’est répandue seulement sous les Romains ; avant, les Gaulois ne connaissait que la bière d’orge) et quelque plat – un seul plat ! Il arrivait fréquemment à une taverne de se transformer en champ de bagarre entre les légionnaires de César ou tout simplement les habitants de Lutèce. En plus, c’était l’endroit idéal pour les espions de César (ainsi que de tous les futurs régents, d’ailleurs).

Au Moyen Âge, la taverne a été chantée par François Villon : c’est par ses vers qu’on apprend que les taverniers brouillaient le vin déjà à l’époque ! Comme les temps n’étaient pas toujours très bons, les tavernes ne pouvaient pas proposer un très grand choix ni de repas ni de vins. C’est pourquoi ils essayaient d’attirer la clientèle par des enseignes : Le Grand Godet, Au Bon Paradis, Le Cabaret du Puits Qui Parle, Au Borgne qui prend, Pomme de Pin... Alors les tavernes de ville changent déjà un peu les habitudes des citadins : si autrefois c’était un endroit où l’on mangeait et partait, un endroit de passage, maintenant c’est un endroit où l’on peut amener ses amis pour faire une fête si l’on n’a pas assez de place à domicile. Là déjà on reste pendant des heures, on y cause, on y partage ses opinions. C’est une sorte de l’agora grecque, de place publique. On y traite des affaires, on y joue aux dés et aux cartes, on peut y prendre une fille de joie, on peut y voir toutes les couches de la société sauf les nobles et les bourgeois. Avec le vin dans les tavernes parisiennes tout n’est pas si simple : les taverniers n’ont droit de vendre que du vin de Roi. Il existe une profession de « crieur de vins » qui annonce le prix des vins et leur qualité. Pour le Roi c’est une source sûre de revenus, c’est pourquoi la loi sur le vin est très stricte. Si l’on aperçoit que le tavernier coupe le vin avec de l’eau, on peut l’amener devant le tribunal mais le plus souvent la justice se fait à coups de poing. Néanmoins, le vin est souvent mauvais. Le meilleur les taverniers gardent pour eux ou pour des hôtes d’honneur, des nobles. Peu à peu les tavernes deviennent des endroits dangereux pour les gens honnêtes et surtout pour les femmes et jeunes filles.

L’avènement des cabarets

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Plan de Lutèce
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Au XVIe siècle c’est le cabaret qui fait jour. Le mot « cabaret » vient de l’ancien picard camberete ou cambrette (« petite chambre »). Si dans la taverne le repas est plutôt destiné à faire passer le vin qui se vend seulement au pot (et ce repas est souvent trop salé pour donner de la soif), les cabaret proposent à manger en même temps qu’à boire et le vin se vend au détail. Il y a des nappes et des assiettes pour chacun. Mais l’ivrognerie, les bagarres et la prostitution restent. Alors, de nombreux édits de roi interdisent aux taverniers, cabaretiers et aubergistes d’accueillir les habitants de la ville, bourg ou village et il leur est prescrit de ne recevoir que des passants et des étrangers. Mais bien sûr tous ces édits sont ignorés et les taverniers s’arrangent à recevoir leurs « piliers » en les faisant partir par une porte cochère en cas de rafle.

D’ailleurs, sur plusieurs cabarets ont jeté leur dévolu des poètes et des écrivains de l’époque, comme Rabelais, Ronsard, du Bellay. Cyrano de Bergerac, Racine, Molière et Boileau ne dédaignaient pas les cabarets comme Pomme de Pin ou La Croix de Lorraine ou Radis couronné.

Le Procope et les Lumières

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Voltaire, Condorcet, Diderot et autres philosophes dans Le Procope
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Mais les gentilshommes en ont assez de ces sales récipients de vices de toutes sortes. D’ailleurs, le premier café a été ouvert non pas par un Français, mais par un Sicilien, Francesco Procopio, un idéaliste, qui rêvait de créer un havre de la culture, une île de la philosophie, un refuge pour les grands esprits, qui seraient, bien sûr, des gentilshommes et des gens de la Cour. C’était l’époque où le café comme boisson devenait de plus en plus à la mode : il rafraîchit et stimule l’activité intellectuelle et on le croyait très bon pour la santé. Et c’est comme ça qu’en 1684 naît la gloire de Le Procope – le premier et le plus ancien café de Paris. D’abord, rue Tournon, puis rue de l’Ancienne-Comédie. On y invente une manière spéciale de faire du café : en faisant percoler de l'eau chaude dans le café retenu par un filtre. Mais on y apprécie aussi le décor fait avec un grand goût et richesse. Très vite, Le Procope devient le centre de la vie culturelle parisienne. Ce statut, il le gardera jusqu’à nos jours. Voltaire, Diderot, d'Alembert, plus tard Musset, Verlaine, France, des gens des lettres, des hommes politiques, des artistes le fréquentaient et il garde toujours cette atmosphère artistique.

Sébastien Mercier, un observateur du Paris pre-révolutionnaire parle du climat de ces cafés

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Dans Le Procope
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« On compte six à sept cents cafés ; c'est le refuge ordinaire des oisifs, et l'asile des indigènes. Ils s'y chauffent l'hiver pour épargner le bois chez eux. Dans quelques-uns de ces cafés, on tient bureau académique ; on y juge les auteurs, les pièces de théâtre ; on y assigne leur rang et leur valeur ; et les poètes qui vont débuter, y font ordinairement plus de bruit, ainsi que ceux qui, chassés de la carrière par les sifflets, deviennent ordinairement satiriques ; car le plus impitoyable des critiques est toujours un auteur méprisé.

Les cabales pour ou contre les ouvrages s'y forment, et il y a des chefs de parti, qui ne laissent pas que de se rendre redoutables ; car ils vous déchirent un écrivain qu'ils n'aiment pas, du matin au soir : souvent ils ne l'ont pas compris, mais ils déclament toujours ; et il faut que la réputation littéraire essuie paisiblement toutes ces bourrasques.

Dans le plus grand nombre des cafés, le bavardage est encore plus ennuyeux : il roule incessamment sur la gazette. La crédulité parisienne n'a point de bornes en ce genre ; elle gobe tout ce qu'on lui présente ; et mille fois abusée, elle retourne au pamphlet ministériel.

Tel homme arrive au café sur les dix heures du matin, pour n'en sortir qu'à onze heures du soir ; il dîne avec une tasse de café au lait, et soupe avec une bavaroise : le sot riche en rit, au lieu de lui offrir sa table.

Il n'est plus décent de séjourner au café, parce que cela annonce une disette de connaissances, et un vide absolu dans la fréquentation de la bonne société : un café néanmoins, où se rassembleraient les gens instruits et aimables, serait préférable, par sa liberté et sa gaieté, à tous nos cercles qui sont parfois ennuyeux.

Nos ancêtres allaient au cabaret, et l'on prétend qu'ils y maintenaient leur belle humeur : nous n'osons plus guère aller au café ; et l'eau noire qu'on y boit est plus malfaisante que le vin généreux dont nos pères s'enivraient : la tristesse et la causticité règnent dans ces salons de glaces, et le ton chagrin s'y manifeste de toute part : est-ce la nouvelle boisson qui a opéré cette différence ?

En général, le café qu'on y prend est mauvais et trop brûlé ; la limonade dangereuse ; les liqueurs malsaines, et à l'esprit de vin : mais le bon parisien, qui s'arrête aux apparences, boit tout, dévore tout, avale tout.

Chaque café a son orateur en chef ; tel, dans les faubourgs, est présidé par un garçon tailleur ou par un garçon cordonnier ; et pourquoi pas ? Ne faut-il pas que l'amour-propre de chaque individu soit à peu près content ?

On courtise les cafetières : toujours environnées d'hommes, il leur faut un plus haut degré de vertu, pour résister aux tentations fréquentes qui les sollicitent. Elles sont toutes fort coquettes ; mais la coquetterie semble un attribut indispensable de leur métier.

Tapi quelquefois dans le coin d'un café, vous diriez un homme lourd, triste, ennuyeux, qui ronfle en attendant le souper : il a tout vu, tout entendu. Une autre fois, il est orateur, il a rendu le premier des propos hardis, il vous sollicite à vous déboutonner, il interprète jusqu'à votre silence ; et que vous lui parliez, ou que vous ne lui parliez pas, il sait ce que vous pensez de telle ou telle opération.

Tel est l'instrument universel dont on se sert à Paris pour pomper les secrets ; et c'est ce qui détermine plus volontiers les actions des ministres, que tout ce qu'on pourrait imaginer en raisonnements et en politique.

L'espionnage a détruit les liens de la confiance et de l'amitié ; on n'agite que des questions frivoles, et le gouvernement dicte, pour ainsi dire, aux citoyens la thèse sur laquelle ils parleront le soir dans les cafés et dans les cercles.

C'est ce faubourg qui, le dimanche, peuple Vaugirard et ses nombreux cabarets ; car il faut que l'homme s'étourdisse sur ses maux : c'est lui surtout qui remplit le fameux salon des gueux. Là, dansent sans souliers et tournoyant sans cesse, des hommes et des femmes qui, au bout d'une heure, soulèvent tant de poussière qu'à la fin on ne les aperçoit plus.

Une rumeur épouvantable et confuse, une odeur infecte, tout vous éloigne de ce salon horriblement peuplé, et où dans des plaisirs faits pour elle, la populace boit un vin aussi désagréable que tout le reste.

Ce faubourg est entièrement désert les fêtes et les dimanches. Mais quand Vaugirard est plein, son peuple reflue au petit-gentilli, aux porcherons et à la courtille : on voit le lendemain, devant les boutiques des marchands de vin, les tonneaux vides et par douzaines. Ce peuple boit pour huit jours.

Il est, dans ce faubourg, plus méchant, plus inflammable, plus querelleur, et plus disposé à la mutinerie, que dans les autres quartiers. La police craint de pousser à bout cette populace ; on la ménage, parce qu'elle est capable de se porter aux plus grands excès.

J'aurais bien désire, avec six cents mille autres, y voir le roi de Prusse. On dit cependant qu'il y est venu dans le plus grand incognito, après la paix de 1763. Une dame qui a demeuré huit années à Berlin, m'a assuré avoir rencontré dans mes Tuileries une figure si ressemblante à celle du héros de l'Europe, qu'elle en fut frappée ; et celui qu'elle regardait avec surprise, en fut si frappé lui-même, qu'il détourna la tête et s'éloigna.

On prétend que Frédéric a visité ce café dit l'antre de Procope, jadis champ de bataille des querelles littéraires, et où il a été tant de fois question de ses combats, de ses victoires, de ses écrits, de ses négociations, de ses grandes et rares qualités. »

(à suivre)

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